Brésil - 

"Eduardo Cunha, vous êtes un gangster et le siège sur lequel vous êtes assis sent le souffre"

par Kakie Roubaud (Autresbrésils) - 
La Chambre des députés a voté la 17 avril la destitution de la Présidente du Brésil au cours d’un procès politique affligeant. La population brésilienne est sous le choc. Les députés favorables ont tous invoqué Dieu et la Famille. Les alliés du Parti des Travailleurs crient au scandale.

Photo - La Chambre des Députés a voté la poursuite du procès de Dilma - Valter Campana - Agência Brasil (libre de droits)

La Chambre des députés a voté la 17 avril la destitution de la Présidente du Brésil au cours d’un procès politique affligeant. La population brésilienne est sous le choc. Les députés favorables ont tous invoqué Dieu et la Famille. Les alliés du Parti des Travailleurs crient au scandale au nom de la Démocratie. Ils accusent Eduardo Cunha, président de l’Assemblée d’avoir orchestré cette mascarade. Le sort de Dilma Rousseff dépend maintenant du vote final du Sénat. Mais elle ne renoncera pas. Pour elle, c’est un Coup d’État.

Brasilia, 17 avril dans l’hémicycle réuni en assemblée plénière - Un député de gauche se fraye un passage jusqu’au micro. C’est le jeune Glauber Braga (PSOL) et il s’adresse directement à l’homme à lunettes et cheveux gris rejetés en arrière qui préside la session. Celle-ci doit juger si la destitution ira ou pas devant le Sénat : « Eduardo Cunha, dit-il, vous êtes un gangster et le siège sur lequel vous êtes assis sent le souffre ! » Il vote vigoureusement « Non » à la destitution de Dilma Rousseff « pour tous ceux qui n’ont pas choisi le côté facile de l’Histoire »du terroriste révolutionnaire Marighiela aux héros de la conscience noire, Zumbi dos Palmarès. Il est hué par ses pairs.

Un évangéliste radical prend le relais. « Mon vote c’est « Oui » à la mémoire au Colonel Brilhante Ustra, la terreur de Dilma (..) et pour Dieu ». Jair Bolsonaro, député d’extrême droite vient de faire l’apologie de la torture devant 511 députés et des milliers de téléspectateurs. N’importe où, ce serait un scandale. Mais ici ça ne fait pas une vague. C’est pourtant un fantôme de la dictature de 1964 qu’il invoque, le colonel Ustra tortionnaire de Dilma Rousseff alors que la Présidente était une jeune militante dans la clandestinité.

Mais le député Bolsonaro n’en reste pas là : connu pour ses idées racistes et homophobes il félicite maintenant le président de l’Assemblée Eduardo Cunha pour son travail. Tous savent que ce Président est accusé d’avoir reçu 5 millions de dollars en pots de vin pour un chantier naval lié à l’entreprise nationale Petrobras. Tous savent aussi qu’il doit des comptes au Conseil d’Ethique et que la Cour Suprême l’a mis en examen pour corruption passive et blanchiment d’argent.

Au cours de la session qui durera jusqu’à 21h, 47 députés viendront dire son fait à Eduardo Cunha, indépendamment de leur décision sur le cas Dilma. « Ton heure a sonné ». « C’est bientôt toi qui rendra des comptes ». Deux jours plus tard, ils sont déjà 100 à réclamer sa peau.... L’appétit vient en mangeant : c’est la curée. On craignait des affrontements sur l’Esplanade. Mais le vrai western a lieu dans l’Hémicycle, sous les Coupoles !

L’Esplanade des Ministères, c’est le ventre de Brasilia. Toutes les manifestations culturelles et politiques d’envergure ont lieu sur sa pelouse monumentale. Elle est encadrée par 17 ministères et se termine par la Place des Trois Pouvoirs, avec le Palais présidentiel du Planalto, la Cour Suprême et le Congrès fait de deux coupoles inversées, la chambre basse et la chambre haute, l’Assemblée et le Sénat. Sur le dernier kilomètre, deux murs amovibles en métal ont été dressés par des prisonniers. Ce sera dur de les escalader. Ils font deux mètres de haut et 5000 policiers sont en faction. Des artistes activistes y ont laissé des messages : « La politique ce n’est pas le bien contre le mal. Soyez tolérants ». Mais aussi « Mur de la honte », « Mur de Berlin », « Halte à la ségrégation ».

A droite, côté Cathédrale, les partisans du départ de Dilma, en jaune et vert. Leurs mots d’ordre : « Dilma dehors » « Ciao Chérie ». A gauche, en direction de la Cour Suprême, les partisans du « Non » vêtus de rouge. Leur mots d’ordre : « Non au Coup d’État ». Les premiers sont plutôt blancs, les seconds plutôt métissés. Mais pas toujours…. Une double manifestation, deux défilés de supporters qui avancent parallèlement comme dans un match de foot sur l’asphalte et la pelouse grillée comme une savane.

Depuis midi, sous un ciel bleu comme il n’en existe qu’à Brasilia, étrangers aux déclarations pathétiques qui sont faites à la Chambre des Députés et qu’ils n’entendent pas, des centaines de militants, étudiants, syndicalistes et paysans sans terre du MST affluent sur l’aile nord, en provenance de l’ancien stade de foot où ils ont installé leur campement, à 7 kilomètres du centre. Des tentes de camping pliables, des repas servis à partir des camions, deux bouteilles d’eau par personne et une noix de crème protectrice solaire. Sur le Plateau Central de Brasilia, le soleil est sec et sans merci.

L’organisation digne de la Fête de l’Huma est financée par des citoyens lambda. « On m’a dit qu’il manquait de l’argent pour la viande et j’en ai envoyé » explique Marcia, une intellectuelle bénévole. Ils sont 53 000 dit la police. Sur l’aile sud, côté jaune, venus du Parque da Cidade, le bois de Boulogne local, ils sont à peine la moitié, 26 000. Mais dans l’Hémicycle, cette minorité est depuis longtemps une majorité : le fameux BBB « Bœuf Bible Balle ». Les éleveurs, les prêcheurs et les policiers. Ou les bandits en col blanc !

Il faut maintenant les deux tiers de la Chambre des Députés pour que le« oui » l’emporte. Le motif invoqué pour justifier la destitution de la Présidente du Brésil est fallacieux : une « cavalerie financière » exercée lors de son premier et second mandat. Elle aurait permis qu’un emprunt contracté auprès d’une banque publique vienne rembourser un déficit des comptes de l’État. Quelques mois plus tard, tous les emprunts sont déjà remboursés. Un simple artifice comptable. Ce n’est pas une première dans l’histoire du Brésil.

Tous les Présidents du Brésil l’ont fait… à plus ou moins grande échelle. Mais dit l’adage « Quant on veut tuer son chien, on l’accuse de la rage ». C’est d’autant plus facile que personne ne comprend rien à cette histoire de « cavalerie financière », très technique. Seuls les juristes et les financiers arrivent à suivre. Les autres traduisent que la Présidente a trempé dans une affaire sale. Pourtant aucun soupçon de corruption ne pèse sur Dilma Rousseff. Elle n’a, plaide-t-elle elle-même, pas de compte en Suisse ; elle ne s’est pas enrichie de façon illicite ; elle n’a pas touché de pots de vin. Dans l’actuel contexte de scandale financier généralisé, cette éthique mériterait d’être soulignée.

« Son erreur, expliquent des étudiants de la UNE, c’est d’avoir laissé la justice faire son travail, sans jamais intervenir ni pour ses amis, ni pour ses ennemis. Ce n’était pas le cas avant. » « Peu importe, dit Roberto, un manifestant jaune en Ray Ban, « elle a foutu notre économie en l’air ». On avance que le contexte économique global n’est pas bon et que la République n’est pas une entreprise dont on peut être renvoyé juste parce qu’on est « mauvais ». Après tout, 54 millions de Brésiliens ont voté pour elle en 2014 et la sanction pourrait venir en 2018 avec les prochaines présidentielles ? Il hoche la tête, poli, le fameux « homme cordial » brésilien… Son père venu de Salvador de Bahia vole à sa rescousse : « On veut changer de système. On est pour le parlementarisme ».

Nous y voilà… « Dans le parlementarisme, on fait tomber le Président comme on veut car il n’exerce pas le pouvoir. Il « représente », expliquera le soir même, dans une conférence de presse télévisée, Eduardo Cardoso, ex-Ministre de la Justice chargé de défendre Dilma Rousseff. Mais le Brésil est un régime présidentiel et il faut passer par le vote direct… Même si la destitution fondée sur des motifs graves, existe. Plus loin, sur l’aile sud qui longe la cathédrale et abouti au Palais de l’Itamaraty, le Quai d’Orsay brésilien, un autre père de famille « jaune » joue à la marchande avec ses enfants en vendant des badges épinglés sur un foulard : « Alors, disent les gamins, vous préférez « Dehors Dilma » ou « Dehors le Communisme » ?

On questionne : le communisme, c’est quoi ? Les gamins lèvent le nez vers leur père « Qu’est-ce que je t’ai appris ? ». Le plus grand, 10 ans, réfléchit « Ah oui… c’est quand on détruit un pays et qu’on empêche les gens de pratiquer leur religion ». De l’autre côté, « chez les rouges », un couple de paysans sans terre, métis de noir et d’indien, dort enlacé, sur la pelouse qui borde l’avenue, à l’ombre d’un arbre, épuisés par leur longue marche sous le soleil. Ils sont tout petits, de la même taille que les deux enfants en jaune et vert.

Il est déjà 16H et on a installé des écrans géants pour que sur l’Esplanade, les deux « camps » assistent aux résultats. Commence au micro de l’Hémicycle un incroyable défilé de députés faisant des déclarations pathétiques, dignes des pires jeux télévisés. « Pour mon cher Brésil »« Au nom de Dieu »« Contre la corruption »« Pour le droit des familles et de nos enfants »« Pour l’amour à la Vie »« Pour les gens de bon cœur »« Pour Sergio »« Pour la reprise de la croissance économique »« Pour la famille quadrangulaire ». Une secte… Pas un mot pour les électeurs, les valeurs de leur parti, le programme sur lequel ils auraient été élus ou le fonds de l’affaire : la fameuse « cavalerie financière ». Leur famille est leur programme et tous disent « oui, oui, oui » à la destitution de la Présidente dans un orgasme collectif indécent. Eduardo Cunha vote en ajoutant « Que Dieu ait pitié de cette nation ». On est entre Big Brother et la séance d’exorcisme !

Tout à la joie de « reprendre » le Congrès, l’un d’eux se lâche et fait exploser une bombe de confetti sur la table du président. Mais le point d’orgue revient au 342e député venu du Pernambouco qui se prononce en faveur de la destitution de Dilma Rousseff, convaincu que son discours restera dans l’Histoire : « Quel honneur le destin m’a réservé que de ma bouche sorte le cri d’espoir de milliers de Brésiliens. L’État du Pernambouc n’a jamais fait défaut et je dis oui, oui au futur ». Si bien qu’après sept heures de débats, la Chambre a massivement voté en faveur du « oui ». Les 342 votes nécessaires sont largement dépassés : 367 « oui » contre 137 « non ». C’est une gifle, une humiliation et un raz de marée. Dimanche 17 avril, les députés devaient juger si la première femme élue Présidente de la République du Brésil, Dilma Rousseff, ex-chef de cabinet de Lula avait commis oui ou non, un « crime » grave en autorisant la « cavalerie » des comptes de l’Etat en 2015. Mais peu de députés ont commenté le fonds du dossier montrant que le motif, finalement, importait peu. S’il n’avait tenu qu’aux femmes députées, Dilma Rousseff ne serait pas allée devant le Sénat. Toutes tendances confondues, la majorité d’entre elles, a voté « non »« Bande de lâches ! Lâches ! Lâches ! Vous êtes tous des lâches » a crié une députée du Parti des Travailleurs à la foule des hommes vautrés dans le drapeau national. La décision finale revient maintenant au Sénat. Il doit prendre sa décision en mai. Le spectacle continue….

Reste le sentiment d’un lynchage, d’un jugement d’exception, d’un procès sexiste dans une société d’éleveurs de bétail et surtout d’un immense gâchis. Avec ses quotas universitaires en faveur des noirs et des indiens, ses allocations familiales attribuées aux mères et ses 40 millions de pauvres entrés dans la classe moyenne, le Brésil avait gagné le respect de la communauté internationale et il était redevenu crédible. Dimanche dernier, le plus grand pays d’Amérique Latine, organisateur du premier sommet des Brics en 2010 a donné le spectacle d’une République bananière. Une inconnue subsiste maintenant et c’est devenu un sujet de plaisanterie « Ciao Chérie », ça veut dire Ciao Dilma ? Ou Ciao la Démocratie ?

Kakie Roubaud



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