Brésil - Reportages

Éric Maréchal : « The Artfabric redonne de la visibilité à ceux qui sont devenus invisibles »

Corentin CHAUVEL lepetitjournal. - 5 décembre 2016
Après une exposition, il y a neuf ans à Paris, Eric Maréchal, ce « chasseur d’images urbaines », a trouvé l’amour à São Paulo et s’est lancé dans un nouveau projet, « The Artfabric ». Entretien.


Sao Paulo (photo ArtFabric)

Lepetitjournal.com : Que s’est-t-il passé depuis ce premier article sur votre travail en 2007 ? *
Eric Maréchal : Un an plus tard, j’ai rencontré des artistes qui faisaient des collages à Paris. C’est comme cela qu’est né un premier projet qui consistait pour moi à coller leurs œuvres dans les différents pays dans lesquels je voyageais. Partout où j’allais, j’avais avec moi des œuvres sur papier que je collais à droite et à gauche, dans les endroits les plus visibles possibles, juste pour le plaisir de diffuser de l’art urbain. Au fil des années, j’ai monté un réseau d’artistes qui s’établit aujourd’hui à environ 450 des quatre coins du monde, dont une centaine nous suit de très près et crée juste pour nous. Je n’ai jamais vu la plupart d’entre eux, mais ils m’envoient leurs œuvres par la Poste. C’est de cette manière que j’ai rencontré mon épouse brésilienne, Fabi Futata, à São Paulo en 2009. J’effectuais des collages au sein d’un événement street art à Barra Funda qu’elle prenait en photo pour le compte d’un reportage pour un journal américain. Alors qu’elle était revenue s’installer à São Paulo pour faire de la photo sociale après plusieurs années aux Etats-Unis, elle m’a emmené voir un groupe de sans-abri à Vila Leopoldina avec qui elle avait sympathisé. Ce jour-là, j’avais des œuvres à coller avec moi et on s’est dit qu’on pourrait leur en proposer comme décor. Cela s’est très bien passé, ils étaient tous très enthousiastes. De cette expérience, qui a permis de m’affranchir des préjugés et des craintes que j’avais, est venue l’idée de la poursuivre dans d’autres milieux défavorisés et de redonner de la visibilité à ceux qui sont devenus invisibles.

C’est ainsi qu’est né le projet « The Artfabric » ? 
Oui, à partir de 2012, on a été un peu partout des Etats-Unis en Argentine en passant par le Chili, le Brésil et la Chine où on a réalisé des collages dans des maisons menacés de destruction. Au milieu des ruines, ces résistants ont complètement adhéré à l’idée de mettre ces collages venus des quatre coins du monde pour embellir leur environnement. C’était avait du sens, comme mettre des fleurs dans un désert. Ils mettaient les collages de leur choix et étaient très émus. A chaque lieu visité, on nous disait de ne pas y aller, que c’était très dangereux, mais on arrivait juste avec nos œuvres, de la colle et des appareils photo, et on était très bien accueilli neuf fois sur dix. Une fois qu’on est accepté, qu’on respecte les codes (on ne prend pas des photos partout), cela se passe sans problème. A São Paulo, on intervient souvent dans la communauté de Buraco Quente, on est avec les enfants tandis que le trafic se déroule à côté.

C’est votre projet principal ? 
Oui et l’étape suivante a été de pouvoir établir un dialogue entre l’artiste à l’origine des œuvres et les personnes visées, qu’ils soient sans-abri, réfugiés ou habitants des favelas. Pour cela, nous prenons des photos des personnes concernées qu’on envoie aux artistes. Ces derniers font alors des œuvres dessinées, peintes ou sous forme de pochoir avec ces photos. Nous revenons alors dans les lieux visités pour les donner aux personnes prises en photo pour qu’elles puissent les coller sur les murs. L’impact est d’autant plus fort que ces personnes se rendent compte que l’on revient et que l’on établit un dialogue. C’est très important, on passe beaucoup de temps à leur parler, écouter leur histoire, connaître leur parcours de vie et ainsi gagner leur confiance. L’œuvre d’art sert de brise-glace parce que c’est festif, c’est une image qu’elles choisissent selon leur goût. Et quand on rapporte leur photo en grand format, il se passe quelque chose, cela leur donne de la visibilité, de la fierté, ce sont des instants inoubliables.


Sao Paulo (photo ArtFabric)

Comment vous choisissez les lieux dans lesquels vous intervenez ? 
Cela se fait au gré de nos voyages. A chaque fois, où que l’on se rende, on essaye de savoir où se trouvent les quartiers défavorisés ou les sans-abri. On y va comme ça, on établit les premiers contacts, on présente les œuvres que l’on a avec nous et les histoires se font.

Comment se passe le rapport à l’art avec les personnes que vous rencontrez ?  
Cela nous est arrivé de rencontrer des SDF, notamment à Paris, qui étaient très agressifs et ne voulaient rien entendre, donc on n’a pas insisté. Mais de manière générale, partout où on va, on arrive avec nos œuvres, on leur montre et on leur dit de choisir, et cela provoque des rires et des sourires. A Berlin par exemple, c’était surtout des hommes des pays de l’Est, et ils choisissaient plutôt des images féminines dénudées. Le dialogue s’établit, puis c’est eux qui veulent coller, prendre des photos, se faire prendre en photo à côté des oeuvres. On a aussi eu un accueil exceptionnel de la part de réfugiés à Berlin.

Pensez-vous à d’autres formes d’œuvre d’art à diffuser de cette manière outre des collages ?
Pour le moment, on revient surtout pour coller les photos que l’on a prises, mais on évolue aussi en direction des enfants, notamment dans les favelas. Ce sont généralement les plus enthousiastes donc on les fait intervenir. On fait aussi des interventions avec des artistes qui ne sont pas coutumiers non plus des sans-abri et des favelas.

Vous agissez de manière entièrement bénévole, qu’est-ce que cela vous apporte ? 
C’est un véritable enrichissement humain, on est payé avec des sourires qui valent de l’or ! Maintenant, il faut aussi être réaliste, c’est vrai que l’on voyage, que l’on achète de la colle… donc nous recherchons des sponsors afin d’agrandir notre projet, que d’autres personnes y participent, de faire venir des artistes, offrir des appareils photo aux enfants qui adorent s’en servir… Il y a un retour positif des gens qui prouve que cela a du sens, même si nous ne changeons pas le monde et que l’on a dû toucher au total que quelques centaines de personnes, cela crée des moments de plaisir dans des vies qui sont extrêmement difficiles. Nous, quand on rentre chez nous, on peut prendre une douche et retrouver notre confort de vie, même modeste, ce qui n’est pas le cas des personnes que nous rencontrons.

Il est difficile de trouver ces sponsors ?
Ce n’est pas évident. On espère pouvoir toucher notamment des entreprises françaises présentes au Brésil pour aider à notre financement, qui pourrait découler in fine sur des retours concrets comme une exposition, un livre… La difficulté reste de faire passer le message. Parfois on nous dit : "Vous ne pensez pas qu’ils ont plutôt besoin d’un toit ?" Bien sûr qu’ils ont besoin d’un toit, mais ils ont aussi besoin d’art et cela a un impact important. Ces gens-là n’ont pas accès aux musées et la plupart, si l’on pense aux SDF, ont eu une vie avant d’être là qui peut parfois être surprenante. Ils avaient un travail et quelque chose s’est cassé. Mais ils ont des références artistiques. D’autres n’ont eu aucune éducation, mais quand on leur présente une œuvre, ils réagissent comme tout le monde, à l’instinct, à l’émotion. De plus, nous apportons des œuvres originales et très variées.

Parlez-nous des ouvrages que vous avez publiés… 
J’ai publié un premier livre de photos sur le street art, Murografismos, sorti en 2005, puis nous avons publié en juillet dernier The ArtFabric : Le street art aux frontières de la société (éditions Omniscience), un ouvrage thématique sur nos différentes interventions à l’international. Nous avons déjà un prochain projet de livre qui approfondirait les histoires de vie que l’on a recueillies. Chacune d’entre elles est unique.

Pour finir, quelle est votre vision de l’évolution du street art à São Paulo depuis le dernier article que nous vous avions consacré ?
L’évolution a été très positive, mais cela pourrait aller dans le sens exactement inverse avec le nouveau maire qui a été élu. Son prédécesseur, Fernando Haddad, était très favorable au street art, surtout par rapport au précédent qui avait entrepris de tout nettoyer et repeindre. Il y a donc eu quatre ans d’embellie et on va voir ce que la suite va donner. Pour ma part, j’en suis à 200.000 photos de street art et je continue à photographier les œuvres des artistes brésiliens, certains faisant d’ailleurs partie de ceux qui nous offrent des œuvres.

Le street art semble malgré tout s’institutionnaliser quelque peu avec des œuvres sponsorisées…
Oui, bien que ce soit aussi l’aspect illégal d’origine qui lui donne tout son sens. Mais les deux doivent être acceptés, car le street artist qui fait du sauvage doit aussi pouvoir être financé. Le débat existe toujours, de même entre les street artists et les pixadores (tagueurs, ndr) qui a donné lieu à de sérieux conflits. Moi-même, quand j’ai commencé mes premiers collages sur des tags, j’ai reçu des menaces de mort sur Internet !

Eric Maréchal, chasseur d’images urbaines

Lire aussi, Le street art au service des SDF

Voir le site de The Artfabric


 

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