En ouvrant à Lyon, en 2005, la librairie « Musicalame », Isabelle Maillot, ingénieure en informatique scientifique, a réalisé un vieux rêve : vivre pour et parmi les livres. Pour autant, elle n’oublie pas que cet idéal est menacé par toutes les nouvelles techniques d’information et de communication
Isabelle Maillot
Quand et pourquoi avez-vous ouvert une librairie musicale ?
Isabelle Maillot : Musicalame a été ouverte le 9 mai 2005 mais ce n’est pas une « librairie musicale », ce qualificatif désignant en général les librairies de partitions… et nous ne vendons aucune partition.
Alors, quelle est sa spécialité ?
La musique et la danse. Musicalame est une « vraie » librairie, absolument « généraliste », au sens où l’on y trouve les mêmes rayons que dans une librairie généraliste mais au détail près que tout y a un rapport avec la musique ou la danse. Et pour répondre au « pourquoi », j’ai créé Musicalame à un moment crucial de ma vie professionnelle : mon métier d’ingénieure en informatique scientifique était passionnant mais la succession de dirigeants plus mauvais les uns que les autres à la tête de l’entreprise où je travaillais m’a convaincue de la nécessité de fuir un univers intellectuellement et humainement mortifère pour me lancer dans la création d’une librairie spécialisée dans la musique. La danse est arrivée un an plus tard.
En fait, le projet mijotait dans mes rêves depuis quelques années.
« Brel, Barbara, Brassens, Ferré, Nougaro et tant d’autres »
Quels ouvrages peut-on trouver dans votre librairie ?
Tous les livres qui concernent, de près ou de loin, les univers de la musique et de la danse. Toutes les musiques, toutes les danses, sans restriction de genre, ni d’origine, ni d’époque. Et, par extension, notre offre concerne aussi la littérature, romanesque et policière, ayant un lien plus ou moins direct avec la musique et la danse, mais aussi la pédagogie, l’histoire, l’organologie…
L’organologie ?
C’est l’étude des instruments de musique et leur histoire pour laquelle nous avons une demande 100 fois plus importante que l’offre !
Nous avons aussi des ouvrages concernant la médecine des arts, sur les liens avec les autres arts, un très beau rayon jeunesse et, bien sûr, de la poésie avec les textes des « grands » : Brel, Barbara, Brassens, Ferré, Nougaro et tant d’autres.
Justement, côté musique que proposez-vous ?
Nous proposons une offre de disques : classique, jazz… et tout le reste sur commande pourvu que cela existe quelque part dans le monde ! En DVD, nous proposons à peu près tout ce qui existe en danse contemporaine. Tout le reste peut être commandé.
Des vinyles ?
Non, faute de place et de demande suffisante pour créer un « vrai » rayon. Mais nous travaillons avec la presque totalité des fournisseurs de disques et pouvons servir sur demande.
« La douceur des relations avec nos clients est un élément crucial, essentiel, fondamental pour l’existence de cette maison »
Organisez-vous des animations : rencontres avec des auteurs, des musiciens… ?
Oui ! Les premières années, nous organisions une à deux, parfois trois), rencontres par semaine : jeunes artistes, groupes de la région, artistes plus « célèbres », conférences de presse, présentations de festivals, etc…C’était beaucoup d’énergie et de temps pour, parfois, une audience terriblement confidentielle, voire pire…
Depuis un an, nous sélectionnons les demandes d’accueil et privilégions les opportunités susceptibles de nous amener des clients car, il ne faut pas l’oublier, notre métier est de vendre des livres et des disques, pas d’être« organisateur de spectacle ». Les rencontres dans les murs sont moins fréquentes mais avec des intervenants plus importants.
Quelles sont vos relations avec vos clients ?
Belles, intimes, douces, solidaires, concernées, chaleureuses, amicales, motivantes, essentielles… Sans nos clients, sans l’énergie qu’ils nous ont donnée, sans la confiance qu’ils ont placée en nous et nous a « obligées » vis-à-vis d’eux, cette maison n’aurait jamais tenu.
C’est très important…
La douceur des relations avec nos clients est un élément crucial, essentiel, fondamental pour l’existence de cette maison. Rien n’aura jamais autant de valeur que celui ou celle qui passe la porte en disant : « J’ai beaucoup aimé le livre [le disque] que vous m’avez conseillé l’autre jour. Mon week-end fut bien meilleur grâce à vous. Merci ! ».
Rien ne vaudra jamais l’émotion provoquée par celui ou celle qui arrive, fin juin, un chéquier à la main, en disant : « Bon, je crois que l’été est toujours difficile pour vous en trésorerie. De combien avez-vous besoin cette année ? Si je peux vous aider, me voilà ».
C’est beau en effet mais ne pensez-vous pas que tout cela soit menacé par les nouvelles technologies ? Qu’internet, les tablettes… finiront par tuer le livre, les librairies et, pourquoi pas, l’édition ?
Je pense que les nouvelles technologies vont tuer, dans un premier temps, plus que le livre, les libraires, l’édition et les auteurs. Je pense – comme beaucoup d’autres avant ou avec moi -, que l’être humain n’est pas fait pour vivre seul. Or ces nouvelles technologies tuent la relation humaine. Il suffit de mettre en parallèle l’image d’un entrepôt Amazon avec celle d’un lieu comme Musicalame.
À gauche, un esclave sous-payé poussant des wagonnets entre des murs de produits sans histoire ni valeur autre que marchande. À droite, des êtres humains qui se regardent, se parlent et se nourrissent mutuellement de questions et de réponses.
Je pense que la question des livres et disques physiques versus électroniques n’est qu’une facette des bouleversements en cours.
Le déploiement, aussi prochain qu’universel, de ces nouvelles technologies marquera
la fin d’une ère »
Alarmiste ?
Réaliste. Le déploiement, aussi prochain qu’universel, de ces nouvelles technologies marquera la fin d’une ère, celle de l’humain et des chaleurs qu’il dégage, jusqu’à ce que le besoin vital d’intime et de vrai impose un retour vers ce dont nous avons tous besoin : vivre ensemble.
Que le livre et le disque, tels que nous les connaissons aujourd’hui, y laissent leur peau au passage n’est pas très important. Le crucial, c’est la vie, la communication les yeux dans les yeux, les mains qui se serrent pour dire merci et partager de la reconnaissance. Le vital, c’est l’identité de l’autre, le souvenir de son visage et de son prénom dans la tête de l’autre : la dématérialisation en cours est en train de tuer tout cela et pas que pour le livre ! On vit tous cela dans tous les compartiments de notre existence.
Aujourd’hui, quand je parcours les listes des milliers de livres à paraître chaque mois, je sais, à l’instant où j’en repère un en rapport avec nos spécialités, à qui je vais en parler. Il y a un être humain derrière cette idée, et une histoire humaine : celle-ci a des soucis personnels graves, ne pas la déranger et l’avertir plus tard ; celui-ci est fauché mais j’ai assez de sous en banque pour n’encaisser son chèque que le mois prochain. Ça, aucune technologie ne le permettra jamais. Mais on y reviendra. Après le marasme.
Mis à part le bonheur que vous donnez et que vous recevez au quotidien dans votre profession, est-ce que Musicalame vous a permis de réaliser un rêve… disons un rêve fou ?
Ecoutez, je crois n’avoir construit cette maison que pour une seule chose : je rêvais d’y accueillir un jour Patricia Barber, une des artistes les plus importantes dans le jazz et de la poésie des vingt-cinq dernières années. En tous cas, une artiste dont la musique fut une nourriture essentielle depuis que mes oreilles l’ont rencontrée en 2000. Et puis un jour, elle est venue. Elle a joué ici. J’ai même chanté pour elle avec elle au piano. Depuis, nous sommes devenues des amies.
Que vous dire de plus ? J’ai réalisé mes rêves ! Celui-ci et tant d’autres ! C’est cher payé pour tant d’années de travail acharné. Mais qu’est-ce que c’est bon !
Marie Torre
Librairie Musicalame
16 rue Pizay
69001 Lyon
http://musicalame.over-blog.fr/
Tel - fax : 04 78 29 01 34
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