05-08-2011 14:53:43

Le Chili bouge - manifs étudiantes inventives !

Plus de deux mois que lycéens et étudiants manifestent dans tout le Chili pour une éducation publique, gratuite et de qualité pour tous. Sans réponses politiques, le mouvement trouve dans l’art une ressource précieuse pour se renouveler.
Reportage Ségolène Roy (Concepción, Chili)


Dans l’université de Concepción, frappée par un incendie lors du séisme du 27 février 2010, sur les murs noircis de la faculté de chimie, des étudiants s’affairent, bombes de peinture et pinceaux à la main. Dans la droite ligne de la tradition du muralisme mexicain dont l’héritage s’étale sur les murs de Santiago et de Valparaíso, ils allient art et politique, condamnant une vision mercantile de l’éducation.

Voilà plus de deux mois qu’au Chili, lycéens et étudiants manifestent, bloquant les établissements, défilant dans la rue, contestant la réforme du ministre Joaquín Lavín, depuis remplacé par Felipe Bulnes. Lui aussi semble n’avoir de cesse que les cours reprennent.

Un système éducatif hérité des années Pinochet

Vingt ans après la fin de la dictature, le constat est pourtant amer : l’enseignement chilien est de mauvaise qualité et reproduit les inégalités sociales, les études sont extrêmement coûteuses et poussent les familles à s’endetter. L’enseignement est un marché juteux qui n’est pas au service du peuple.

En cette année 2011, lycéens et étudiants exigent l’inscription du droit à une éducation gratuite et de qualité dans la Constitution, qui date d’Augusto Pinochet, peu préoccupé par la démocratisation de l’enseignement. Ils veulent également la "desmunicipalización" des lycées, afin qu’ils ne dépendent plus des municipalités mais de l’Etat. Enfin, ils réclament un enseignement et une Université qui ne soient pas soumis aux intérêts privés et ne soient pas sources de profit.

L’art contre l’inertie

Évidemment, quand on passe des semaines et des semaines à étendre des banderoles, à défiler dans la rue, à clamer ses revendications, il s’agit de trouver les moyens de renouveler sa propre énergie. Mais aussi ceux de capter l’attention d’un public facilement convaincu qu’une grève qui dure ne fait qu’entraver la réussite des lycéens étudiants victimes des blocages des établissements (les mêmes tensions ont eu lieu en France suite à l’adoption en 2007 de la LRU, la loi relative aux Libertés et Responsabilités des Universités).

Il en faut de l’énergie pour revendiquer, jour après jour, des droits que d’aucuns trouveront élémentaires dans un pays dit développé. Et ce alors que le gouvernement répond en envoyant des carabineros dont la présence se solde souvent par l’usage de gaz lacrymogène et de canons à eau, voire par des arrestations. À tel point que certains ont fait leur ce slogan : "En Chile, la democracia huele a lacrimógenas" (au Chili, la démocratie sent le gaz lacrymogène).

Zombies et manifestations nocturnes

Surprendre, interpeller, déranger, séduire, détourner… l’intervention de l’art dans le politique renouvelle les forces à l’œuvre, et cherche à nourrir notre capacité à remettre les choses en question. Depuis des mois, au Chili, on assiste sur la place publique à des spectacles étonnants, des performances en tous genres qu’il est difficile d’ignorer.

Un jour, une armée de zombies témoigne d’une école moribonde, un soir, un ptérodactyle réclame qu’on l’extirpe de la préhistoire dans laquelle elle végète, une nuit, les tambours réveillent sur les coups de deux heures du matin les Penquistes endormis. Ici, des étudiants simulent un suicide collectif, là, quelques motivés défilent sans vêtements dans l’hiver humide de Concepción, pour symboliser le dénuement dans lequel les laisse l’endettement auquel ils sont contraints pour payer leurs études. Le 4 juillet, devant la pinacothèque de l’université (célèbre pour la fresque du Mexicain Jorge González Camarena qu’elle renferme), les étudiants ont organisé une parodie de jeu télévisé, auquel chacun contribue à hauteur du montant de sa dette, "l’Endeudatón".

1 800 - un nombre symbole

Il faudrait investir 1 800 millions de dollars pour financer annuellement les études de 300 000 personnes, selon l’université de la Playa Ancha de Valparaíso. Moins d’un tiers, précise-t-elle, du budget consacré à l’Armée.     1 800 millions de dollars que pourrait apporter la renationalisation du cuivre, ressource principale du Chili, rappellent certains.

1 800, un nombre dont se sont emparés ceux qui ne se contentent pas de vagues promesses. C’est le nombre d’heures que se sont fixés les coureurs de Santiago, qui se relaient inlassablement depuis le 13 juin dernier pour faire le tour de la Moneda, le palais présidentiel. La course s’achèvera le 27 août, avis aux amateurs…

Le 6 juillet, on pouvait voir se rassembler sur la place du tribunal de Concepción 80 couples "Enamorados y endeudados hasta las patas".(Amoureux et endettés jusqu’au cou.), engagés dans un baiser de 1 800 secondes (30 mn…) lors d’un "Besatón" qui fit des émules.

Another brick in the wall

Le 29 juillet, une classe de lycéens s’est installée sur "la plaza de Armas" de Santiago. Abattus par la présence d’un policier et le discours d’un dictateur armé d’un mégaphone, les voilà soudain révoltés, brisant le mur sur un Another Brick in the Wall des Pink Floyd, légèrement remanié ("Hey ! Lucro [profit] ! Leave the kids alone"), et brandissant des banderoles : "No necesitamos educación privada. No necesitamos control del pensamiento". (Nous n’avons pas besoin d’une éducation privée. Nous n’avons pas besoin d’un contrôle de la pensée.)

Le 1er août, le gouvernement a annoncé 21 mesures pour l’Education. Vingt-et-une mesures qui, selon le président du mouvement Educación 2020, Mario Weissbluth, ne modifieraient pas les règles du jeu.

Dans les rues de Concepción et de Santiago, ce 4 août, à la suite de manifestations non autorisées qui ont dégénéré, plus de 600 personnes ont été arrêtées. Ce soir, c’est au cacerolazo (concert de casseroles), une forme de protestation populaire née dans les années 1970, qu’ont fait appel les organisations étudiantes. Il a résonné à travers le pays, en signe de soutien.

Références :

Anonyme, "The Wall contra el lucro a la chilean way tuvo hippies, flores y velatón", Cuatro letras, photos de Rodrigo Carrasco.

Denisse CHARPENTIER, "Besatón por la educación congrega a más de 80 parejas y 1 000 espectadores en Concepción", radio Bío-Bío, 6 juillet 2011 (en espagnol).

Denisse CHARPENTIER, "Duros enfrentamientos entre manifestantes y carabineros se registran en Concepción", radio Bío-Bío, 4 août 2011 (en espagnol).

Solange GARRIDO, "Gobierno y nuevo balance : 552 detenidos, 29 carabineros heridos y 2 jovenes lesionados", radio Bío-Bío, 4 août 2011 (en espagnol).

Mélissa QUILLIER, "1 800 horas corriendo por la educación pública", El Ciudadano, 16 juin 2011 (en espagnol).

Patricia SCHÜLLER, "Educación 2020 : Se propone mejorar une partido que se seguiria jugando con las mismas reglas”, Nación.cl, 2 août 2011 (en espagnol).


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