- Art

Rencontre avec une amoureuse de l'art haïtien

Marie Torres - 16 janvier 2018
Maria Isabel Moreno, directrice de la Galerie Flamboyant à Pétion-ville (Haïti), est spécialisée dans l'art primitif haïtien depuis 1980. Elle nous en parle avec beaucoup de chaleur. Rencontre.
Maria Isabel Moreno

Micmag.net : Plusieurs artistes français, comme Breton, Sartre ou Malraux, se sont intéressés à l'art haïtien et l'ont fait connaître en France, comment l'expliquer ?

Maria Isabel Moreno : Je pense qu'appartenir à une société où le culturel occupe un large espace, parcourir le monde, s'immerger dans les différentes formes d'expression artistique et , un jour, rencontrer quelque chose de différent, conduit naturellement à s'intéresser à cette découverte. Et, ces artistes, habitués à voyager et à découvrir, ont senti dans l'art haïtien, quelque chose de différent et de beau et l'étape suivante a été de le raconter, de l'écrire et de le diffuser. C'est ce qui s'est passé non seulement avec les intellectuels français mais aussi avec les Américains et les autres... Et ceci a bénéficié aux artistes de tous les domaines de la création haïtienne. Un bénéfice qui s'est dilué avec le temps pour des raisons de toutes sortes tant dans en Haïti que dans le monde.

M. : Comment s'explique la diversité et la quantité de cet art ?

M.I.M. : Cette diversité et cette quantité sont une bonne chose et je crois qu'elles dureront longtemps car elles correspondent à quelque chose de profond dans l'histoire du peuple haïtien.

les Haïtiens sont arrivés ici chassés d'Afrique, de leurs pays, de leurs tribus, de leurs familles et ont été installés en ces lieux sans aucun ménagement. Ils ont été acculés, abusés. On leur a interdit de pratiquer leurs croyances, leurs langues. Mais ils n'ont jamais oublié leurs racines. Ils les ont protégées, leurs prières sont restées intactes au fond de leur coeur. Au fil du temps, ils ont appris à vivre comme on les a obligés à le faire et ils sont devenus ce qu'on appelle des "marrons". Dans cette dualité, il y a de la souffrance mais aussi une richesse secrète que les hommes talentueux traduisent en peinture, objets, musique, littérature et tout ce qui a trait à l'art. Les artistes ont peint les" loas", les symboles, les histoires mystiques et les choses de la vie quotidienne.

M. : On peut dire que cette dualité aiguise, dynamise leur créativité...

M.I.M. : Tout à fait, elle leur permet d'avoir un imaginaire, une richesse, une éternité et une fertilité nés, d'une part, de l'interdiction et, d'autre part, de l'existence de leurs croyances. Pour toutes ces raisons, l'art haïtien est unique et imprtant à mes yeux. Devenir un artiste, c'est s'évader, entrer dans l'imaginaire, dans les "loas" qui sont toujours sources d'inspiration.

M. : L'originalité de cet art vient aussi du mode de vie des Haïtiens ?

M.I.M.: Oui, la difficulté de la vie, l'absence d'avenir façonnent les Haïtiens différemment des hommes des autres pays. Les étrangers constatent que les Haïtiens ne pensent qu'au présent. Il n'y a pas de place pour l'avenir car il y a suffisamment à résoudre aujourd'hui, demain nous verrons... Et c'est raisonnable vu la quantité de problèmes que chacun d'entre eux à affronter. Pour eux , c'est la seule façon d'exister et de résister.

Leur relation avec la mort est également différente. Quelqu'un qui leur est cher disparaît, ils le pleurent, ils l'enterrent avec tous les rites habituels et, le lendemain, la vie reprend sa place. Le cycle recommence. Cela n'a rien à voir avec la force de l'amour ou du chagrin mais ils ne restent pas coincés dans le sujet . Peut-être parce qu'ils croient vraiment en quelque chose après la mort ou parce qu'ils savent que rien ne se passe et cela s'est simplement terminé.

De cet ensemble d'idées, d'émotions et de sentiments, de ces deux hommes en un, et par l'intermédiaire du talent, naissent de belles images étranges qui ne cessent d'étonner le visiteur, l'intellectuel.

M. : Les oeuvres se vendent-elles à l'international ?

M.I.M.: Aujourd'hui le marché souffre mais ce n'est que le résultat des hauts et des bas de l'économie mondiale, de la disparition de cet intérêt des nouveaux intellectuels parce que le monde tourne et s'ouvre à d'autres horizons.

M. : Une fouchette de prix ?

M.I.M. : Entre 4,00 et 16 500 euros

M. : Quelques noms d'artistes "incontournables"

M.I.M.: C'est difficile car un choix est déterminé par une sensibilité personnelle. Cependant, parmi les nombreux artistes, il y en a un que je considère incontournable. Il a les qualités qui font d'une personne un grand artiste : la créativité, l'esthétique et la thématique de son oeuvre, même si ce dernier élément ne détermine pas nécessairement la qualité du travail. Cet artiste est Frantz Zéphirin. Il y a beaucoup de nouveaux artistes en pleine production, mais Zephirin est le seul qui ne ressemble à personne.

Deux autres grands artistes - qui ne sont pas des peintres - aujourd'hui décédés mais qui ont une grande place dans l'histoire de l'art haïtien des 30 dernières années : Stivenson Magloire (1963-1994) et Félix Lafortune (voiudou Prete) (1933-2016). Je citerais aussi les artistes du Mouvement de Saint Soleil qui ont marqué une étape importante de l'art haîtien. Des six personnalités les plus célèbres, deux d'entre elles sont toujours en vie : Levoy Exil, qui vient d'avoir 45 ans et Denis Smith, qui ne produit partiquement plus.

Pour en savoir plus, ici

Lire aussi : Haïti & la culture ? Une force tellurique de la Caraïbe- Nos rencontres -Nos portraits

Photos/María Oca

Marie Torres pour www.micmag.net
Galerie Flamboyant
9 rue Darguin
Pétion-Ville, Haïti
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  • Prospere Pierre Louis
  • Stivenson Magloire
  • Louisiane Saint Fleurant
  • Richard Antihomme
  • Levoy Exil
  • Frantz Zephirin
  • Frantz Zephirin

 

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