Bout du monde- Tunis - 

Emel Mathlouti, Protest Singer : "je ne comprends pas qu’il puisse exister des étudiants de droite"

Propos recueillis par Louise Logeart. - 25 octobre
Dans la lignée de ses mentors américains et égyptiens, issue d'une culture traditionnelle et underground, la chanteuse tunisienne Emel Mathlouti a séduit le public du Festival du Bout du Monde par sa grâce, sa force et la puissance de ses arrangements musicaux.
Entretien Micmag.

Micmag : il n’est pas évident de trouver un lieu d’expression sous la dictature. Comment as-tu réussi à faire entendre ta voix ?

J’ai commencé à me produire à la fac. Au départ, j’avais un groupe de métal ! Ma révélation, ça a été Joan Baez : cette femme, seule, avec sa guitare… Ensuite, j’ai pu jouer grâce à des ONG et dans les Universités d’été.

Micmag : au départ, c’était l’underground. Comment cela a évolué ?

Ma carrière a pu prendre son envol à Tunis, grâce aux soirées mensuelles que j’ai réussi à obtenir à El Teatro, qui est le fief de la culture underground. J’y faisais des reprises et j’avais décidé de dédier une soirée à un militant qui était mort récemment. Un soir, un compagnon de cet homme est venu me voir et j’ai appris que celui dont j’honorais la mémoire était en fait mon voisin. Cela m’a donné de la force pour continuer dans cette voie.

Micmag : tu as alors décidé de chanter en arabe, alors que la plupart de tes reprises étaient en anglais ?

Oui, j’étais influencée par Bob Dylan, les Pink Floyd, Nirvana…

C’est un ami palestinien qui m’a encouragée à chanter en arabe. Je me suis inspirée aussi de Marcel Khalife et de l’histoire de l’oiseau blessé palestinien, qui part se réfugier au Liban. Je l’ai peu à peu intégrée à mon répertoire, et j’ai eu de bons échos.

Il y a aussi la musique de Cheikh Imam, qui représente beaucoup pour moi : ses textes, sa fureur, son courage... Il était aveugle et il a montré un tel humanisme dans l’Egypte des années 70. Vocalement, c’était difficile de se confronter à son répertoire, mais c’était aussi nouveau pour moi.

Micmag : et la France ? Comment as-tu été accueillie ?

En 2006, j’ai eu une petite bourse grâce au concours (Emel est lauréate du Concours RMC Moyen Orient en 2006). J’ai eu accès au réseau culturel français et j’ai pu jouer en Equateur, au Yémen, en Géorgie. Ce qui est intéressant, c’est que j’étais directement en connexion avec les musiciens locaux.

Micmag : quand tu arrives à Paris, c’est génial, tu as envie de tout voir : tu prends le Lylo et tu vas où tu veux, il y a de tout.

Entre 2007 et 2009, j’ai beaucoup composé. Je m’enfermais dans mon studio (à la Cité Internationale des Arts) et j’ai écrit des tonnes de choses. J’ai largement de quoi faire les prochains albums !

Micmag : dès tes débuts, tu arrives seule sur scène, avec ta guitare. Est-ce difficile en tant que femme ?

J’étais une des seules chanteuses féminines. Je me suis frottée au blues, au jazz, au métal, au reggae, au dub. Au départ, je me disais : une fille seule, sur scène, les gens vont s’ennuyer ! Puis j’ai pris exemple sur Joan Baez, et cela m’a donné de la force. Tout comme les gens qui me remercient à la fin des concerts.

Micmag : tu as étudié le graphisme à l’Université, et tu as réalisé ton mémoire sur l’affiche engagée. Ce n’est pas anodin !

Oui, j’ai étudié le graphisme pendant 5 ans à Tunis. C’est là que j’ai commencé à monter un groupe de musique. Il y a beaucoup de collectifs qui m’inspirent : le Collectif Grapus, Alain Le Quernec. J’ai travaillé sur le photomontage, John Heartfield. Pour moi, c’était un accomplissement de travailler sur l’affiche engagée, parce qu’elle n’existe plus.

Micmag : que penses-tu des mouvements étudiants actuels en Europe, au Québec, au Chili ?

Les étudiants ont des intérêts communs. C’est à la fac que ça se passe. La jeunesse d’aujourd’hui se trouve confrontée à des problèmes. Je ne comprends pas qu’il puisse exister des étudiants de droite : il faut défendre notre mentalité. D’ailleurs, j’en ai fait une chanson : la liberté ne doit pas mourir à la fac.

On vit dans un monde où les gens ne s’indignent pas assez. Il y a des artistes dont les écrits ont changé les choses : Bob Dylan, Cheikh Imam, Joan Baez. Ils dénonçaient artistiquement le désert spirituel et culturel dans lequel on vivait. Aujourd’hui plus qu’hier, on n’a pas appris de nos erreurs, les choses deviennent de pire en pire.

Micmag : tu t’es forgé une image de Protest Singer, notamment en affirmant que ton répertoire est uniquement composé de chansons engagées.

Quand je monte sur scène, je n’ai pas forcément envie de raconter le contexte, mais je chante en arabe. Donc c’est un acte révolutionnaire.

J’ai un ami tunisien, Férid El Extranjero, qui a été interdit en Tunisie. Il continue à chanter en arabe dans son groupe espagnol, Delahoja. Maintenant, il fait sa première tournée en Tunisie. J’ai repris son idée d’une chanson, une feuille, un stylo : la Libertad, c’est de pouvoir s’exprimer, de dénoncer.

Micmag : en tant qu’artiste, tu as le sentiment de poser un regard différent ?

Je laisse venir les choses naturellement. Je ne suis pas inspirée par la période de la révolution. Plusieurs rappeurs ont été arrêtés sous prétexte qu’ils fumaient de la drogue, alors qu’ils produisent un travail de grande qualité.

Moi, j’ai beaucoup écrit pendant la dictature. J’ai fait bouger les choses à l’intérieur de moi-même.

Je pense que cela parle aux jeunes et aux moins jeunes, qui retrouvent leurs premières amours de la musique engagée. Dailymotion a été censuré, surtout Facebook. Malgré les attaques, il faut pouvoir reprendre des forces.

Micmag : qu’en est-il du processus démocratique en Tunisie ?

Il avance, au niveau de la liberté d’expression. Le porte-parole a été hué, même au spectacle de Jamel Debbouze, on en a fait des blagues.

Mais au niveau du plan démocratique et économique, ce n’est pas clair. Il est normal qu’il y ait des démissions : les gens sont déçus, les actions ne correspondent pas aux discours tenus au départ. Ennahdha met des coups de bâton, il ne sait pas gérer les situations difficiles. Il y a des ruptures d’eau, des soulèvements. Les blessés de la révolution ne sont pas encore réparés.

Micmag : et dans les pays alentour ? Est-ce que les choses avancent ?

En Libye, ils se sont pas mal débrouillés, les islamistes ont perdu. Ils ont avancé par rapport à la Tunisie.

En Egypte, je ne sais pas, je ne vois pas vraiment d’issue. Quant à la Syrie, elle est proche d’Israël et les gens en profitent pour faire n’importe quoi. Il y a beaucoup d’immigrés et comme c’est l’anarchie, chacun peut en profiter pour les vengeances personnelles.

Micmag : entre la France et la Tunisie, quel est ton ressenti ?

Un manque de soutien médiatique !

J’étais en Tunisie pendant les deux premières semaines où ont eu lieu les soulèvements. J’ai quitté le pays, pour venir dénoncer en France les massacres. Les responsables français se détachaient tous les uns après les autres. En ajoutant le discours choquant de Michèle Alliot-Marie, ça a été très dur. Il n’y a pas eu de personnalité importante qui ait dénoncé ce qui se passait dans notre petit pays.

Les Tunisiens ont essayé de se mobiliser entre eux, même si la peur de la police tunisienne, qui est plus importante à l’étranger qu’en Tunisie, en a dissuadé certains.

On a réussi à organiser des manifestations, notamment le 14 janvier.

Micmag : et maintenant, où envisages-tu ton travail ? En France, en Tunisie ?

Les énergies là-bas ne sont pas forcément positives pour ma création.

Il est important d’avoir un discours nouveau, indépendant sur la Tunisie. Plutôt que d’y rester, je préfère donner une image de mon pays.

Lorsque les gens viennent me voir pour me dire que ma musique leur donne envie d’aller en Tunisie, je me dis que peut-être les choses avancent.

Propos recueillis par Louise Logeart.



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