- Portraits

Plantu : "Il faut être plus malin que les intolérants qui nous attendent au tournant"

Corentin CHAUVEL (lepetitjournal- Brésil) - 
Plantu était à Rio pour la projection du documentaire Caricaturistes - Fantassins de la démocratie (2014), de Stéphanie Valloatto. Juste avant, le plus célèbre des dessinateurs français de presse contemporaine a accepté de s’entretenir avec nous.

Ce n’est pas votre première visite au Brésil, que vous connaissez bien ?
Plantu :
Je connais un peu le Brésil, je fais des courts passages qui durent d’une semaine à dix jours, cela fait cinq ou six fois que je viens, et je suis amoureux du Brésil, c’est certain. J’étais aussi tellement amoureux de Tom Jobim que quand Chico Caruso (célèbre dessinateur de presse brésilien, ndr) me l’a présenté, j’ai été incapable de lui dire un mot parce que pour moi, c’était Dieu sur Terre.

Vous adorez donc la musique brésilienne ?
Ce n’est pas que j’adore, c’est une drogue ! Il y a la Terre, les nuages, le soleil, les dieux et au-dessus de tout cela, il y a la bossa nova. C’est une porte ouverte vers la "saudade", une main tendue vers un monde meilleur. Même si on est triste, tout est possible, la porte est ouverte vers l’amour des autres.

Outre la musique, la plupart des dessinateurs brésiliens sont vos amis, comment est née cette relation avec le Brésil ?
J’ai fait plusieurs expositions à Rio, à São Paulo, à Brasilia, à Porto Alegre où je retourne d’ailleurs cette semaine (voir encadré, ndr), et à chaque fois, je me suis rendu compte de la folie sympathique qu’on peut voir avec les dessinateurs latino-américains, et notamment les brésiliens. Je me rappelle par exemple d’un passage dans le bureau de Chico Caruso au GloboBenoît XVI venait d’être élu et il a commencé à faire de l’aquarelle, je me suis rendu compte qu’il faisait un brassard au pape, et au milieu de ce brassard une croix gammée ! Je lui ai dit"Mais tu es fou, qu’est-ce que tu fais ?" Chico Caruso me répond "Bah il est allemand…" J’ai trouvé cela sympathique et j’ai surtout retenu cette phrase qu’il m’a dite, qui m’a plu et qu’on a beaucoup utilisée dans les expositions comme titre :"Laisse penser ton crayon". Grâce à lui, à Ziraldo et à tous les dessinateurs brésiliens, je me suis dit qu’il fallait en effet laisser penser son crayon parce que parfois, il dit des choses que l’on n’ose pas proposer au lecteur. Il faut l’écouter, le laisser vagabonder sur la feuille, mais parfois, il faut faire attention, se dire qu’on s’adresse à des lecteurs qui méritent le respect. Il faut leur faire des dessins qui puissent leur parler sans les humilier inutilement.

Malgré la distance et un contexte d’autant plus lointain, le Brésil a été très touché par les attentats de janvier à Paris et notamment celui contre Charlie Hebdo. L’avez-vous ressenti ici en rencontrant le public brésilien ?
Le public brésilien est si vivant, si attentif et si généreux dans sa manière d’accueillir un dessinateur étranger que je suis à chaque fois sous le charme. Je sens le mot "bem-vindo" dans leur regard. Cela m’aide beaucoup pour raconter mon expérience de dessinateur européen. Et c’est vrai que la tragédie du mois de janvier a vraiment fait réagir les dessinateurs et le public brésiliens tellement ils étaient dans la peine de voir des amis français assassinés aussi lâchement. A chaque fois que je vais dans le monde entier, je dis au public que jamais les dessinateurs danois en 2006 ou ceux de Charlie Hebdo ne se lèvent le matin en voulant humilier les musulmans. Seulement maintenant, il y a Internet et il faut être plus malin que les intolérants qui nous attendent au tournant et qui savent très bien l’utiliser et le manipuler.

L’association que vous avez créée en 2006 avec Kofi Annan, "Cartooning for peace", dont une exposition est présentée au consulat de France à Rio, a encore bien du travail…
"Cartooning for peace" nous permet de regrouper des dessinateurs chrétiens, juifs, musulmans athées ou encore agnostiques, et de créer des ponts là ou d’autres essayent de faire des fractures. Cela ne nous intéresse pas de créer des fractures avec le monde musulman, le monde juif ou chrétien, ce que nous essayons de faire, c’est que quand, par exemple, une petite fille est empêchée d’aller à l’école au Pakistan, nous montrons que ce n’est pas un problème de religion, mais de droit humain, de droit des petites filles, et donc nous faisons des charges, des attaques contre les atteintes à ces droits humains. Nous essayons d’être plus forts que les interdits qui voudraient nous empêcher de nous exprimer sur des sujets un petit peu casse-gueule, mais c’est bien là le boulot du dessinateur politique, de faire des charges contre tous les pouvoirs (politique, religieux, etc.). Ces ponts que nous construisons entre les religions, les opinions, cela fonctionne très bien.

Certaines voix ici au Brésil, pays sensible au blasphème, et même ailleurs, ont estimé que certaines limites avaient peut-être été dépassées. Que faut-il y répondre ? Qu’il ne peut y avoir de limites ?
Nous avons justement toujours pensé au sein de "Cartooning for peace" que le slogan "pas de limites" était démagogique. Ceux qui veulent le proposer, cela les regarde et je le respecte, tout comme je respectais Luz, le dessinateur de Charlie Hebdo, quand il dessinait le portrait du prophète. Et je le respecte encore aujourd’hui quand il change d’avis et qu’il dit qu’il arrête de dessiner le prophète. Ce n’est pas mon problème, notre proposition est de dépasser cette démagogie qui pourrait laisser croire "pas de limites, on va jusqu’au bout". Par exemple, je reviens d’une région en Corse où quand le pain est retourné, cela porte malheur. Je trouve cela un peu idiot, mais les gens là-bas le vivent comme cela et ce n’est pas grave, je mets le pain à l’endroit. Ma mère aussi ne supportait pas qu’on soit treize à table, mais peu importe le nombre qu’on soit, pourvu que l’on puisse parler de tout sans humilier les cousins, la grande sœur, les grands-parents… On peut dire tout sans humilier.

Les dessinateurs brésiliens vous admirent beaucoup, quel regard portez-vous sur leur travail ?
Pour moi, c’est la folie, que je retrouve chez tous les Latino-Américains d’ailleurs, je pense à Boligan au Mexique, Horacio ou Sabat en Argentine. Ils sont fous, j’aime leur folie, et quand je reprends mon avion pour retourner vers Paris, je suis enrichi de cette belle gourmandise. Ils dansent avec les signes, avec les images, et je me nourris de cette scénographie, de cette jubilation qui consiste à parler avec les lecteurs en se moquant un peu de tout le monde, mais ces lecteurs ont la même culture qu’eux. Contrairement à nous en Europe qui avons des problèmes avec des gens qui sont là, mais ne comprennent rien à la culture européenne. Ici, les gens ne sont pas forcément d’accord, mais comme ils ont la même culture, on peut danser de la même manière avec eux, alors que chez nous, des haines se sont installées, contre les juifs, contre les musulmans, et je m’aperçois que certains religieux ne comprennent pas les images et il faut tenter d’être plus intelligent que ceux qui essayent de proposer des leçons de démocratie ou de droits de l’homme à des gens qui sont supposés inférieurs. Dans notre devise, il y a liberté, égalité et fraternité, et ce dernier mot signifie une main tendue, une invitation à mieux comprendre nos graphismes, notre culture en Europe, dans le dialogue et dans le calme.



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