- Portraits

Entretien avec Guy Cuervas, DJ historique du Palace

Jean-Christophe Mary - 17 janver 2023
Guy Cuevas, DJ historique du Palace entre 1978 et 1981 qui a vu défiler l’élite artistique des 70's à Paris évoque la légende qui entoure cette salle mythique. A l'occasion du quarante-cinquième anniversaire de la salle, il nous fait partager ses souvenirs.

Micmag.net : Vous êtes né à Cuba, mais votre activité de DJ démarre à Paris au milieu des années 1960.

Guy Cuevas : Je suis passionné de musique depuis mon enfance. Toutes les musiques. A mon arrivée à Paris, à la Cité Universitaire où j’étais hébergé, j’ai découvert le jazz avec Nina Simone entre autres, qui était ma déesse absolue. Et puis de fil en aiguille, j’étais parait-il mignon, bien habillé, mignon, je souriais tout le temps, j’étais un boute en train, un metteur en fête, un ambianceur, la je fais un grand écart dans le temps, on m’a proposé de passer les disques dans un club de St Germain des Près. Disc-Jockey, c’est arrivé comme ça, un peu par hasard. Mais moi au départ je voulais écrire, être écrivain. J’écrivais pour converser avec moi-même car je n’avais pas de copain à l’école. Mon père ne parlait pas non plus, les repas se prenaient en silence. Je me suis mis donc à converser avec moi-même. J’ai publié à la Havane un premier recueil de nouvelles ma biographie parue l’an dernier au Cherche Midi « Avant que la Nuit ne m’emporte ».

M. : On fête cette année le quarante-cinquième anniversaire de l’ouverture du Palace. Vous avez participé à l’ouverture du Palace, et vous y êtes resté pendant trois ans.

G.C. : Je travaillais avec Fabrice Emaer qui avait un restaurant et un club au sous-sol au 7 rue St Anne. J’étais Disc-Jockey. C’est ici que j’ai commencé à peaufiner mon style avec une clientèle exceptionnelle, un club de 150 personnes où l’on croisait des célébrités, Paloma Picasso, Andrée Putman, le roi de Suède. Michel Guy, alors ministre de la culture de Valérie Giscard D’Estaing, nous a proposé de transformer le Théâtre du Palace qui tombait en ruines, un théâtre, où les rats courraient partout et qu’il venait de classer monument historique. C’est de là qu’est venu l’idée d’ouvrir le Palace.

M. : Pourriez-vous décrire votre style ?

G.C. : C’est un grand métissage mais la base c’est une base de musiques noires, Tamla Motown, une musique agrémentée de jazzmen Donald Byrd, Quincy Jones, Desmond Dozier. Des musiques qui vous font danser immédiatement. Et puis j’ai découvert chez Raoul Vidal, un DJ de St Germain des près, un rayon dédié aux musiques de films et un autre de chants d’oiseaux exotiques. A Cuba, les films de la nouvelle vague me faisaient rêver : Jules Jim, Hiroshima mon amour les 400 coups. Je me suis dis que j’allais coller des bouts de dialogues de films entre deux titres. Yves Mourousi m’avait fourni lui un bout de discours de Fidel Castro. Sur la bande son de Shaft par exemple, je mettais des cris d’oiseaux exotiques sur les des mambos de West Side Story, un film que j’ai vu 11 fois. Tout ca c’était au Sept la discothèque de la rue Sainte Anne, tenue par Fabrice Emaer. Quand je suis arrivé au Palace, cette cathédrale avec un plafond de 30 m de hauteur, j’ai commencé à inclure de la musique classique : les Quatre saisons de Vivaldi, des petits bouts de Roméo et Juliette de Prokofiev, la Marche Nuptiale de Mendelssohn ou les Walkyries de Wagner que l’on retrouve dans cette compilation. J’ai créé mon style en suivant mes instincts, mes envies et mes goûts,

M. : Le Palace c’était à l’époque une boite sur le model du Studio 54 à NYC ? mélange de jeunes acteurs en devenir, de stars connues, d’inconnus et de gens friqués qui payaient pour tout le monde ?

G.C. : Le Palace n’était pas la soeur jumelle du Studio 54. Il faut savoir que le Studio 54, qui était un ancien studio de TV a ouvert quatre mois avant le Palace. Le Palace était un immeuble de 5 étages beaucoup plus grand que le Studio 54, avec une vraie scène. Mais comme la mode, la musique, tout ce qui est artistique, il y a ce que l’on appelle des tendances. C’est quelque qui flotte dans l’air, cela ne s’explique pas. Je ne suis jamais imprégné du style du 54 mais on ressentait la même envie ici à Paris qu’à NYC. Fabrice qui venait de Béthune s’était crée un personnage avec une mèche blonde. Il adorait les Bals des Pompiers, les bals populaires du début du siècle où on retrouve un mélange de gens très éclectique. Déjà au Sept, le physionomiste pouvait laisser entrer une clientèle très élitiste aussi bien que le banlieusard, le garçon de la rue ou le travelo du bois qui venait presque à poil avec des pinces à linge sur les seins.

M. : JJ Geils Band Tom Waits, U2, Iggy Pop , Depeche mode, The Clash, mais aussi Nina Hagen, Culture Club ; Third Word Worl,, Gaty Numan, Kid Creole and the coconuts, Klaus Nomi Grace Jones, en mars 1978, Prince, en juin 1981, il y a eu de nombreux concerts mythiques au Palace, souvent deux par soir un à 17h le second à 21hOO …

G.C. : Grace Jones, qui était notre amie depuis le Sept, a fait l’ouverture du Palace. Elle était la petite amie de Jean-Yves Lascombes, le bras droit de Fabrice Emaer. Comme sa version de la Vie en Rose de Piaf cartonnait dans le monde entier, on s’en servit pour l’ouverture. Prince a fait ses débuts au Palace, il a fait scandale avec son perfecto sur sa poitrine velue dénudée, en slip, bas résilles, porte jarretelle et bottines. L’autre moitié de salle dont je faisais partie, a crié au génie. Tina Turner, Bette Midler, Tom Jones, et sa maitresse Rickie Lee Jones ont chanté au palace. La scène noire éclairée juste par un lampadaire, le chapeau en arrière, la cigarette au bec la bouteille de wiskey à la main déglinguée, la chemise de travers et la voix cassés… Tom Waits c’est l’un des plus beaux concerts que j’ai vu de ma vie. Gainsbourg était lui beaucoup plus timide dans ses ballerines repetos, sans chaussettes…(rires).

M. : Vous aviez un contact privilégié avec les artistes. Avez-vous des anecdotes à nous raconter ?

G.C. : La question est jolie, elle revient tout le temps mais c’est impossible. J’ai 450 anecdotes à vous raconter(rires). Mais l’ouverture …après sept mois de travaux et plusieurs millions de francs avec l’installation de lasers, au Studio 54 il n’y avait pas de lasers, on ne savait pas où on allait, on tremblait de peur, et le jour J, on faisait pipi dans notre culotte. Mais ça a marché immédiatement. Sur le carton d’invitation il était écrit : « Smoking exigé ou déguisement à volo ». Quand on a vu tout ce monde, la foule, tous ces gens littéralement écrasés les uns contre les autres à la grille de l’entrée, les limousines qui débarquaient rue du Faubourg Montmartre, on s’est dit, là il se passe quelque chose. On attendait 1700 personnes, on en a eu 3000. Immédiatement, on a croulé sous les demandes de journalistes du monde entier qui voulaient venir voir le Palace. Le Palace était un endroit unique où j’avais dans ma cabine Yves St Laurent, Loulou de la Falaise et Kenzo qui étaient mes amis depuis le Sept et dans la salle Karl Lagarfeld, Valentino, Sonia Rykiel, Nina Ricci. L’uniforme des serveurs et des barmans crées par Thierry Mugler étaient au couleurs rouge et doré du Théâtre du Palace. Avec l’équipe on a toujours eu vocation de faire de cette salle un théâtre. Nous mettions en scène des idées intelligentes, puis on répétait comme au théâtre. Notre mission était d’instruire le public, de le cultiver, de montrer aussi bien des peintures de Pierre et Gilles que des films pornos muets en noir et blanc mis en accélérés où je mettais la musique qui allait avec. On faisait tout pour surprendre.

M. : Existe-t-il aujourd’hui une boite de nuit à Paris comme le fût le Palace ?

G.C : .Je n’en ai aucune idée car je ne fréquente plus les boites de nuit. Déjà à mon époque, Fabrice nous interdisait d’aller voir ce qu’il se passait dans les autres lieux. Il avait raison. De temps en temps, j’allais chez Castel rue Princesse qui était à l’extrême opposée du Palace. Mis je préférais être au Palace même mon jour de congé pour voir ce que mes assistants faisaient car je n’avais pas confiance (rires).

M. : Le métier de DJ est radicalement différent de celui que vous avez connu. Quel DJ appréciiez-vous aujourd’hui ?

G.C. : Comme déjà évoqué, je ne suis plus du tout au courant. On m’invite parfois dans certains endroits, Vous ne le savez peut-être pas mais je suis devenu aveugle. C’est une des raisons pour laquelle j’ai arrêté car je ne pouvais plus lire sur les pochettes de disque. Je suis dans mes déplacements il faudrait que quelqu’un soit avec moi a à mon bras, pour me décrire ce qui se passe. Mais je vais au théâtre, au cinéma, aux expos, au restaurant mais je ne vais plus en boite de nuit depuis de nombreuses années. Je ne suis plus du tout au courant.

M. : Les fantômes des artistes qui ont créé la légende hantent-ils toujours les lieux ?

G.C. : Oui la preuve par cette interview (rires). On en parle toujours 50 ans après. Le Palace est plus que jamais vivant. C’était une époque synonyme d’insouciante, on pouvait faire la fête complète, se divertir sans aucune contrainte. On était heureux, insouciant si quelqu’un n’avait pas d’argent quelqu’un d’autre payait pour lui. On était libre tout le monde baisait avec tout le monde. Puis en 1981, le Sida a pointé le bout de son nez et là ça a été le point final. C’est une époque qui ne reviendra jamais.

Jean-Christophe Mary pour www.micmag.net/ Photos Paul Beletre
Palace, Club Paris l’âge d’or de la nuit Parisienne
Le Palace – Club Paris Selected by Guy Cuevas.
Double-vinyle et coffret 3-CDs (Panthéon/Universal)
16,99 euros

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