Brésil - Reportages

Le Brésil a-t-il gaspillé ses chances ?

Le petitjournalpoint.com - 3 octobre 2013
Le Brésil a-t-il gaspillé ses chances ? C’est la thèse défendue par "The Economist" qui publie dans son édition du 28 septembre 2013 un "Special report Brazil" intitulé "Grounded !"

L'édition du 28 septembre 2013 porte un titre choc "Grounded !" (échoué), illustré en couverture par un Christ Rédempteur en chute libre, qui s’apprête à s’écraser dans la Baie de Rio de Janeiro. Cinq ans auparavant, le 12 novembre 2009, The Economist présentait ce même Christ Rédempteur décollant tel une fusée. Le Brésil était alors en take off (décollage), un émergent en pleine ascension… En 5 ans, que s’est-il donc passé ? Une succession de mauvais choix, affirme l’hebdomadaire britannique, qui traduit un manque de vision des sphères dirigeantes face aux défis de la crise mondiale. Le Brésil aurait ainsi perdu toutes les opportunités qui s’offraient à lui. Vraiment ? Allons voir cela d’un peu plus près.

Dernier faux-pas en date, mis en exergue par The Economist, la tentative ratée de privatisation de la route nationale BR 262 entre le Minas Gerais et le port de Vitoria dans l’Etat de Espirito Santo. Un axe stratégique important pour l’exportation des commodities (produits). Il n’a suscité l’intérêt d’aucun candidat, il a fallu reporter les enchères. A cause d’un détail : les travaux de duplication de la route ont été confiés au DNIT, le Département National des Transports Terrestres, une entreprise d'Etat connu pour sa propension à ne pas respecter les délais et à dépasser les budgets. Or, une clause du dossier de privatisation spécifiait que ces retards et dépassements étaient à la charge du concessionnaire !

Dossiers mal ficelés
Ce  "risque DNIT" a fait fuir tout le monde… L’Etat a donc dû remettre l’ouvrage sur le chantier, retirer cette clause de responsabilité du futur exploitant et baisser les exigences de qualité des travaux à entreprendre, au risque de diminuer la sécurité du trafic des poids lourds sur la BR 262. 

Une semaine plus tard, même mésaventure, avec l’offre publique d’achat du premier lot de prospection du pétrole des grandes profondeurs, dit du "Pré-sal", le gisement de "Libra". 11 candidats intéressés seulement au lieu des 40 enchérisseurs qu’attendaient les autorités. Et parmi eux, aucun des majors du secteur, Exxon, Chevron, BP et BG. C’est que le nouveau modèle de partenariat proposé pour l’exploitation du pétrole du  "présal" est tout sauf limpide.

Il ne repose pas, comme auparavant et comme partout ailleurs dans le monde sur le principe de la concession, mais sur celui du "partage" : après avoir décompté ses coûts, l’exploitant vend sa production à une société d’Etat qui se charge de la commercialiser. Remporte le gâteau celui qui propose le meilleur tarif à la PPSA, la "Estatal do Présal". Sauf que cette société n’existe encore que sur le papier. Et que ses dirigeants n’ont toujours pas été nommés. Les principales multinationales du pétrole ont donc préféré s’abstenir dans un premier temps et attendre pour voir… Du coup, ce sont des entreprises d’Etat chinoises, moins allergiques au risque qui se sont lancées. Plus deux européennes seulement, Shell et Total.

La crainte du "risque Brésil" plus que du
"coût Brésil"

L’insécurité provoquée par cette manière d’improviser, quitte à changer ensuite les règles à la dernière minute en fonction des circonstances, combinée au manque de transparence d’une machine d’Etat toute puissante et arbitraire, éloigne les investisseurs encore plus sûrement que le fameux "coût Brésil de production", cette addition d’une fiscalité trop lourde et d’une bureaucratie tatillonne, régulièrement dénoncées.

"Le secteur public autant qu’une bonne partie du secteur privé agissent en fonction du présent, il n’existe ni stratégie cohérente pour transformer le pays, ni continuité. Nous sommes réactifs et nous agissons à court terme", note Carlos Arruda, coordinateur du noyau d’innovation et d’entrepreneuriat de la Fondation Dom Cabral à Belo Horizonte. Carlos Arruda est responsable pour le Brésil de l’évaluation sur la compétitivité mondiale du Forum de Davos. En 2013, le pays a perdu 8 positions par rapport à 2012, se classant au 56ème rang des 148 nations examinées.

Et bien qu’il soit la 7ème puissance économique mondiale, il ne se situe qu’à la 53ème place pour ce qui est du revenu par tête, un indicateur plus significatif que le PIB global. "En considérant la taille de l’économie brésilienne et ses caractéristiques de pays émergent, le Brésil devrait se classer entre le 35ème et le 40ème rang, soit 20 positions plus en avant" estime Carlos Arruda.

Investissement et exportations, des préoccupations secondaires
Le Brésil est particulièrement pénalisé par son faible taux d’investissements. 17,6% du PIB ces 10 dernières années, contre une moyenne de 23% pour l’ensemble de l’Amérique latine. En 2012, le pays se classait 22ème par rapport à ses voisins du sous-continent. Son taux d’investissement (18,1% du PIB) avait même diminué par rapport à 2011 (19,3%), alors que la croissance elle-même avait reculé de 2,7% à 0,9% ! C’est dire le peu de ressources consacrées au renouvellement des équipements et à l’amélioration des infrastructures.

Au même moment, le Mexique et le Chili, investissaient plus de 24% de leur PIB, et des petits pays comme le Costa Rica et le Panama devançaient largement le Brésil en ce qui concerne les sommes mises à disposition de leurs outils de production respectifs. Pas étonnant dès lors que le Brésil perde sa compétitivité internationale.

Autre handicap dans une économie de plus en plus mondialisée, l’absence d’ouverture aux échanges. Le Brésil vit pratiquement en autarcie. Il importe peu et exporte encore moins. "Nous sommes un des seuls grands pays où les multinationales ne viennent pas pour développer localement leurs chaînes mondiales de production mais pour alimenter le marché local, note Edmar Bacha, un des concepteurs du "Plan Réal" de stabilisation de la monnaie de 1994. Les comparaisons lui donnent raison : le Brésil exporte moins que l’Inde, une économie pourtant considérée comme particulièrement fermée.

En 1970, 7% de son PIB provenait de ses ventes à l’extérieur, en 2012, 12%. Durant la même période, la Corée du Sud a développé à toute vapeur ses exportations : 14% du PIB en 1970, 54% aujourd’hui. En 1970, le revenu moyen par habitant des Coréens était inférieur à celui des Brésiliens, aujourd’hui, il est plus du double. "Le pays ne vend pas, il est acheté, persifle Míriam Leitão, journaliste économique, "ce sont les commodities demandées par la Chine qui ont le plus contribué à la croissance de la balance commerciale."

La lourde facture de mauvaises décisions
Le Brésil paye aujourd’hui le prix des mauvais choix opérés aux mauvais moments. Les correctifs ont trop tardé, ils oscillent au gré de décisions qui n’obéissent visiblement pas à une stratégie clairement définie. Ce n’est pas nouveau, mais dans un univers de plus en plus mondialisé, le handicap se creuse. Petit retour sur l’histoire.

De 1980 à 2005, le Brésil vit 25 ans de très faible croissance. Il paye les pots cassés d’une décennie perdue à cause d’une dette insupportable en perpétuelle augmentation et d’une inflation hors de contrôle. Depuis 1994, la mise en place du "Plan Réal", permet de rétablir progressivement les finances publiques grâce à une politique de responsabilité fiscale et de stabilisation de la monnaie. Mais cette politique d’austérité a aussi signifié un gel des investissements, notamment dans le domaine des infrastructures.

Toutefois, ce rééquilibrage a permis de préparer la phase suivante, celle de l’explosion du marché intérieur, conséquence de l’émergence d’une nouvelle classe moyenne de consommateurs à partir de 2005. Un effet tangible des politiques sociales de retombées des effets de la croissance qui ont largement fait diminuer la pauvreté, et l’augmentation continue des cours des commodities sur le marché mondial dont le Brésil est un grand fournisseur.

L’illusion a fait long feu
Dès lors, il apparaît évident que la croissance du Brésil passe par le développement de son immense marché intérieur. C’est l’époque radieuse des deux présidences Lula. L’excellence du modèle brésilien de développement est vantée partout. Même The Economist s’y est laissé prendre. Emporté par cette vague d’optimiste, il titre son dossier spécial de novembre 2009 "Brazil take off". Il faut dire que l’année précédente, le Brésil a fort bien résisté à la crise des subprimes américaines de 2008, qualifiée ironiquement de"petite marée sur les côtes du pays" par l’alors populaire Président syndicaliste Luiz Inácio Lula da Silva.

C’était une illusion. Et l’illusion a fait long feu. En 2010, la seconde crise mondiale, celle qui fait plonger les finances publiques des pays du sud de l’Union européenne, va réduire à néant la croissance brésilienne : +7,5% en 2010, +2,7% en 2011, +0,9% en 2012. Les investisseurs étrangers s’en vont, le marché intérieur se tasse, le réal se replie : 1,53 R$ pour 1 US$ en juin 2011, 2,20 R$ pour 1 US$ fin septembre 2013. On réalise alors, mais un peu tard, que depuis les années 1980, on a négligé d’investir dans les infrastructures et dans le secteur productif. 25 ans d’oubli…

Retour en seconde division ?

En retard, elle est incapable de concurrencer les pays qui ont investi dans la modernisation de leurs outils de fabrication. Ainsi en est-il dans la construction automobile qui était un des fleurons du pays : les voitures chinoises et coréennes, made in Brazil sont devenues légion. Faute de routes adaptées et de ports à la hauteur, le Brésil peine à exporter ses commodities agricoles à un prix concurrentiel.

Les mesures d’allègement fiscal pour les entreprises et d’encouragement à la consommation prises ces deux dernières années par l’équipe de la Présidente Dilma Rousseff sont restées sans effet. Mois après mois, le ministre de l’Economie Guido Mantega doit revoir à la baisse ses prévisions de croissance, malgré un léger mieux au 3ème trimestre : 3,3% en janvier 2013, 2,2% en juin, 2,4% fin septembre. Le Brésil court le risque d’être rétrogradé en seconde division.

Le Brésil n’est pourtant pas à genoux
Pourtant, même si la crise est grave, le Brésil n’est pas au bord du gouffre. Il est encore et toujours la 7ème puissance économique mondiale, ses ressources sont abondantes, le plein emploi se maintient, sa population atteint maintenant en majorité l’âge productif, dont le pic se situera en 2030, selon les démographes, l’éducation et la formation s’améliorent lentement, les grands événements à venir de la Coupe du Monde de football de 2014 et des Jeux Olympiques de 2016 attisent les regards extérieurs. Les atouts du pays sont toujours là et ils sont immenses. Si crise il y a, c’est celle d’un modèle de développement qu’il faut redéfinir.

"A l’époque du Plan Réal, le pays et le gouvernement avaient un projet : juguler l’inflation et rétablir les comptes. Depuis, plus rien, les autorités se contentent de multiplier les expédients", déplore Edmar Bacha. "Le Brésil doit apprendre à ne plus seulement se regarder lui-même et devenir un "global player", inséré dans la sphère de l’économie mondiale", ajoute Míriam Leitão. Cela passe par une prise conscience d’abord, et une inversion des priorités.

L’accent doit être mis désormais sur la modernisation des infrastructures, l’investissement dans l’innovation et la formation. L’équipe au pouvoir semble l’avoir compris, elle manifeste une volonté sincère de consacrer des efforts prioritaires à la réforme des équipements et à l’éducation. Mais négocier un tel virage prend du temps. Les effets ne se feront guère sentir avant l’an prochain. Si tout va bien.

L’hypothèque du "tout Etat"
Il faut encore revisiter les attributions d’un appareil d’Etat beaucoup trop lourd et trop gourmand. Là, c’est plus délicat. On se heurte à des résistances idéologiques sérieuses de la part de pans importants du Parti des Travailleurs au pouvoir, qui considèrent toujours le grand capital comme l’émanation du diable. Mais qui sait ne pas pouvoir s’en passer. Les rapports entre la sphère publique et le monde des affaires sont donc empreints d’une forme inextricable d’amour-haine.


D’où par exemple la multiplication des chicanes mises aux conditions de privatisation des routes et à concession des nouveaux champs d’exploration pétrolifères. Ou la résistance des industriels à investir dans la modernisation de leurs machines sans garantie d’une politique claire à moyen terme.




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