L’exposition Tremblement de Ciel à la Maison de l’Amérique Latine, baptisée ainsi en référence au recueil (1931) du poète surréaliste, Vincente Huidobro, célèbre le centenaire de la naissance de Matta. Le choix des œuvres de ce dernier, exposées à cette occasion est assez surprenant et déconcerte, dans un premier temps, pour peu que l’on connaisse les couleurs de la palette du peintre. En effet, elles remontent à son séjour, au début des années 60, à Panarea, une toute petite île éolienne volcanique baignée dans la mer tyrrhénienne. "Une saison heureuse de son travail en Italie et la rencontre avec une matière riche en suggestivités élémentaires… Peintures presque monochromes… Fresques entre le préhistorique, le totémique et la science fiction…" ainsi les décrit Italo Calvino qui disait aussi de lui "le seul volcan en activité à Paris".
Roberto Matta est une clé de voûte pour la peinture chilienne car c’est lui qui ouvre véritablement le chemin par la profondeur de son regard : il cherche à débusquer l’Homme, son psychisme, son comportement… Et face à la bêtise humaine, il dénonce.
Edouard Glissant sera également très sensible à son travail : "Matta n’entend pas représenter le réel mais ce qui se trame dessous… Il n’entend pas représenter mais faire vibrer… Toute la complexion humaine, pensée, sensibilité, et puis savoir et ignorance, étendue et profondeur, bout comme un volcan, bondit comme un tremblement, s’apaise comme une roche noire, s’entasse et s’accomplit comme les grandes pierres taillées de ses rêves, et puis s’écroule et laisse traîner la trace de son sang et de ses sèves. Là est le sens, là ce chemin".
A New York sur les conseils de Marcel Duchamp
Il devient surréaliste par l’adoubement d’André Breton rencontré par l’intermédiaire de Salvador Dali, alors qu’il ignorait encore le mouvement. Il publie aussi dans la revue Le Minautaure, des articles sur l’architecture. Matta, architecte de formation et élève de Le Corbusier s’oppose au rationalisme du maître. En 1936, il s’installe à Londres et rencontre Henri Moore et Magritte. Ensuite, il part à New York pour fuir la guerre, suivant les conseils de Marcel Duchamp. Il exposera à la galerie surréaliste Julien Levy, donnera des conférences notamment à la New School of Social Research et recevra dans son atelier, entre autres jeunes talents prometteurs, Jackson Pollock. En 1941, en compagnie de son épouse, il entreprend un voyage au Mexique qui réveille son goût pour la peinture précolombienne.
Puis en 1946, lorsque paraissent à New York les Lettres sur la bombe atomique de Denis Rougemeont, il en est l’illustrateur. Ensuite, il revient à Paris, à l’occasion de sa première exposition monographique (septembre 1947). Et suite à son exclusion du groupe surréalisme, Matta retourne au Chili (1948), où il publie un texte sur "le rôle de l’artiste révolutionnaire qui doit redécouvrir de nouvelles relations affectives entre les hommes". De nouveau, il regagne l’Europe et s’installe cette fois-ci en Italie, à Civitavecchia. À partir de cette époque, l’engagement politique sera de plus en plus présent dans son œuvre : Les Rosenbelles, 1952 (relatif au procès de Julius et Ethel Rosenberg) ; La Question, Djamila, 1958 (évoquant les tortures pendant la guerre d’Algérie) ; Les Puissances du désordre, 1964 (hommage au dirigeant communiste Julian Grimau exécuté en 1963, en Espagne) ou encore Burn, baby burn, 1965-67, stigmatisation de la guerre du Vietnam. Telle cette dernière peinture (9m de long), les grandes toiles caractérisent Matta et vont parfois même au-delà d’une dizaine de mètres. L’année 1968, il participe au premier congrès culturel à La Havane, à Cuba ; en France, il prend part aux événements de mai 68 et recouvre les murs et les plafonds du Musée d’Art moderne de la Ville de Paris.
Passé de l'exil à l'Ex-il
Enfin, après le terrible 11 septembre 1973 qui, avec le suicide d’Allende suite au coup d’Etat de Pinochet, engloutit tout espoir de socialisme, il rompt totalement avec le Chili et avouera : "Mon travail est un travail de séparation… De l’exil, je suis passé à l’Ex-il , quelque part entre le connu et l’inconnu, entre la réalité et l’imaginaire. Là où commence la poésie". Matta s’adonnera aussi à la sculpture et obtiendra tout au long de sa vie de nombreux prix et sera exposé dans le monde entier, dont Paris au Centre Georges Pompidou qui lui rend un hommage pour l’ensemble de son oeuvre, en 1985.
Récemment, c’est à la galerie Malingue (ave Matignon, en 2004) qu’il est exposé mais Tremblement de ciel, permet avec cette trilogie chilienne –Matta, Zañartú et Téllez- d’ébaucher une filiation picturale et de mettre en lumière une certaine continuité. En effet, si Matta fut le catalyseur de l’explosion de l’Ecole de New-York, Enrique Zañartú, lui, après avoir vécu et s'être formé à New York au fameux Atelier 17 de William Hayter, devient le directeur-associé de l’atelier qui ouvre à Paris. De Zañartú, Michel Deguy dira : "Long et mince comme le Chili, élégant, silencieux avec ce rire clair, inattendu, un éclat" et quant à ses toiles, il les décrit telles des "itinéraires animaux, des bijoux du désert inusités, élytres et clavicules, calices carnivores… Des chromes de la terre réfractaire, d’anfractuosités…". Zañartú fut un homme d’horizon, méditant sur cette limite "là où mer et terre confinent, sur les rivages énormes du Pacifique ou les plages normandes…" . Ce grand artiste, peintre et graveur, le frère de Nemesio Antunez, lui-même peintre, avouait pourtant : "Je n’aime pas peindre, je ne suis pas un homme de pinceaux, j’aime les accidents, les expériences".
Eugenio Téllez, quant à lui, le seul des trois encore en vie, a aussi participé à l’Atelier 17, de William Hayter. Peintre et graveur, il a été proche de Zañartú et a connu toutes les influences de la grande époque du Montparnasse des années 60. Jorge Edwards devine, en regardant ses toiles, "dans sa période récente, sous une pluie de plumes, de bâtonnets, de points d’interrogation, de lignes semblant tout droit sorties d’un graphisme délirant d’Henri Michaux, le regard moqueur d’Alvaro, Alvaro de Silva, notre grand frère…". Sa peinture est comme "une proposition permanente, un jeu qui n’en finit pas…".
A eux trois, Matta, Zañartú et Téllez ont traversé le XXème siècle, chacun avec sa créativité, son expression singulière où s’entremêlent parmi les influences de grandes figures artistiques et les centres névralgiques de l’Art, de l’Europe au continent américain. Ils resteront nos témoins, des passeurs qui nous racontent le siècle passé et nous emmènent jusqu’à aujourd’hui au fil de cette exposition entre le rupestre de Matta, la délicatesse de Zañartú et l’explicite de Téllez.
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