Magnum Photos : la célèbre agence résiste à la crise !
Magnum photos est certainement la plus célèbre des agences photos du
monde. Créée en 1947 par Henri Cartier-Bresson, Robert Capa, George
Rodger et David Seymour sous la forme d’une coopérative, elle aura
bientôt traversé 65 ans de succès et de crise avec en son sein quelques
un des plus grands photojournalistes du monde. Clément Saccomani,
chargé des nouvelle productions chez Magnum Photos Paris, cœur
éditorial de l’agence, revient sur le fonctionnement d’une entité par
comme les autres. Interview par Hélios Molina et Iris Sergent
Micmag : Comment fonctionne Magnum ?
Clément Saccomani : « L’agence magnum est une coopérative qui appartient
uniquement à ses photographes. Le mode d’intégration d’un photographe
se déroule selon un rituel : les photographes se réunissent une fois
par an en Assemblée Générale dans un des 4 bureaux. C’est le moyen pour
les photographes de discuter, de se rencontrer : c’est des gens qui
partagent la même vison de la photographie. D’autres photographes sont
tentés chaque année d’entrer dans l’agence. Ils doivent soumettre un
portfolio qui va faire l’objet d’une sélection par les photographes, ce
qui limite déjà pas mal le nombre de candidats potentiel. Ensuite, les
photographes vont élire un nominé. Pendant une période de un à trois
ans ce nominé va devoir continuer le travail qu’il a débuté : le but
est que les photographes qui vont rejoindre l’agence ne soient pas des
photographes d’une histoire mais d’une vie photographique, qu’ils aient
une écriture, une narration. Cela dure de un à trois ans. Ensuite, le
photographe, pendant une AG remontre son travail : si le travail est
accepté il va devenir associé pendant 5 à 7 ans. On arrive alors à une
dizaine d’année. A l’issu de cette période, le photographe deviendra
membre à part entière. C’est un processus très long. On n’a pas de free
lance. C’est un investissement de rentrer chez magnum. Et c’est un gage
de garantie depuis 65 ans ».
Micmag : Quelle est la ligne éditoriale Magnum ?
C.S « Le jeu c’est de raconter le monde. Aujourd’hui Magnum, ce sont des gens qui représentent aussi bien René Burri (membre depuis 1969) que
Josef Koudelka (depuis 1974) ou Elliott Erwitt (depuis 1954) ou de très
jeunes photographes comme Dominic Nahr (nommé en 2010). C’est un
orchestre où les photographes sont leur propre chef d’orchestre. Ce
n’est pas toujours facile mais c’est ce qui fait que l’agence est
saine, qu’il y a débat aussi bien sur la photographie que sur la
direction de l’agence ».
Micmac : Comment l’agence Magnum a-t-elle traversée la crise de la photo ?
C.S : « On a vacillé comme tout le monde. La différence des autres
c’est que l’on a un fond d’archive. Ce ne sont pas les images que le photographe est capable de
faire, ce sont les images qu’il a déjà faite. C’est la gestion des
archives. Les fonds d’archive constitue un matelas qui permet
au photographe d’amortir la chute en période de crise… L’archive chez Magnum, c’est un an après la prise de vue. Ainsi, on essaie aujourd’hui
en amont de trouver des moyens de diffusion pour l'avenir.
Ça peut prendre la forme d’ouvrage, soit des monographies d’auteurs,
des ouvrages collectifs, soit des commandes .Après ça, on essaie d’aller
sur des expos, le bureau de Paris gère 120 expo par an ».
Micmag : Jean-François Leroy, qui organise visa pour l’image, disait
qu’il n’y avait qu’une dizaine de photoreporters qui vivent de leur
métier dans le monde…
C.S : « Ça c’est on avis. Oui, il y’a dix star. Mais la création ne
s’arrête pas à ces dix stars. Alors oui c’est difficile de bien vivre.
Mais il y’a des photographes qui s’en sortent très bien. Les
photographes qui fonctionnent aujourd’hui, ce sont ceux qui n’ont pas
bougé d’un « iota » sur leur vision, sur leur façon de faire et qui
continuent. Alors bien entendu on a parlé d’un monde où il y avait 10 000 photographes, mais c’est un monde que je n’ai pas connu et ceux qui
l’on connu sont proches de la retraite. La question n’est pas de savoir
si c’était mieux ou pas. Le fait est que c’est fini. On vendait 5000 euros la photo de presse il y’a 5 ans aujourd’hui on la vend 50
euros. Donc, soit on pleure soit on continu et on essaie de faire autre
chose. Si on regarde ce qui s’est passé dans la presse sur le
printemps arabe, c'est presque toutes les mêmes images. Mais il n’y a pas
beaucoup des gens au Soudan, au Congo, en Ouganda. La presse n’est pas
tellement preneuse. Mais à la rigueur on s’en moque un peu. Si on se
pose cette question là, c’est qu’on est déjà en train d’essayer de
refourguer la peau de l’ours avant de l’avoir tué. Et ça c’est le
problème ».
Micmag : Comment faire pour rester la meilleure agence du monde?
C.S : « Déjà on continu à faire de la photographie. Et on continu de
trouver de nouvelle voix. On a tout à inventer aussi bien dans le
financement que dans les nouvelles façons de narrer : ça peut être sur
les applications I-pad, sur le web, ça peut être sur l’image en
mouvement. Depardon il y a déjà quarante ans demandait déjà une caméra
et un micro….aujourd’hui y a des boitiers qui le permettent, le
numérique le permet…continuons à innover, le public n’a jamais été
aussi curieux »
Micmag : Quelle est la valeur d’une photo de magnum ?
C.S « Il y a plein de critères qui vont rentrer en jeu. Si on parle
d’un tirage et du marché de l’art, on a des photographes qui ont très
bien acquis les mécanismes du marché de l’art : tirage limités,
exemplarité des tirages, réseaux de diffusion Après si on parle de
l’image en général, chez magnum on s’acharnera pour avoir ce soucis
d’exigence et ce caractère exceptionnel que chaque tirage peut avoir
aussi bien dans l’approche journalistique qui en est faite, que sur la
réalisation des images en elle-même ».
Micmag : Le photojournalisme est il en train de rentrer dans le marché de l’art ?
C.S : « Cela fait déjà une bonne dizaine d’année. Il y a des cotes
assez intéressantes. Pourtant, un peu de retenu sur les
sommes qui sont en train de toucher le marché de la photo et l’art en
général : une photo d’époque d’Henri Cartier-Bresson, signée, je
comprends. Concernant des tirages modernes qui prennent des cotes plus
élevées que les tirages d’époque, j’ai plus de retenu. On a vite
tendance à voir des bulles apparaître. J’espère juste que ça ne
deviendra pas une bulle spéculative, comme on a pu le voir avec la
bulle internet. Alors cet engouement est-il réel ou médiatisé ? »
Micmag : Pourquoi ce succès ?
C.S : « En temps de crise les gens ont tendance à investir dans le
marché de la photographie qui devient une valeur refuge en tant de
crise ».
Micmag : Est-ce que magnum s’intéresse à l’art contemporain ?
C.S : « On a certain photographes qui sont plus plasticiens que
journaliste, même si l’un n’empêche pas l’autre. Oui on va sur le
marché de l’art contemporain. L’essentiel est que la photographie
continu d’être faite et que les photographes continuent de travaille ».
Micmag : Peut-on savoir si Magnum communique sur ses bénéfices ou son chiffre d’affaire ?
C.S : « Le principe même de l’agence n’est pas de faire de l’argent
mais de la photo. Le meilleur exemple c’est un photographe comme Abbas
(membre depuis1985) qui, en 2001, s’est posé la question de savoir ce
qui amène des gens à balancer des avions sur des tours, alors qu’il se
trouvait en Sibérie. Ça l’a mené à voyager au quatre coins du monde
pour s’interroger sur l’islam post-11 septembre. Ce travail à donné
lieu à deux choses : un livre et une expo. L’exposition est faite de 32
photos alors qu’il ya passé 8 ans. Ça fait 4 photos par : il n’y a pas
de modèle économique qui tienne. On n’est pas là pour être rentable ou
faire des bénéfices. On est là pour permettre de faire de la photo. Il
faut trouver d’autres moyens pour que les photographes puissent
produire ».
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