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Virginie Jacoberger-Lavoue « "Ils sont fous ces Brésiliens" est un essai sociologique et politique»

Corentin Chauvel (www.lepetitjournal.com - Brésil) - 28 juillet 2016
Après « Ils sont fous ces Québécois » ou encore « Ils sont fous ces Anglais », voici « Ils sont fous ces Brésiliens », un décryptage concret du Brésil moderne en marge des sempiternels clichés. Entretien avec l’auteur, Virginie Jacoberger-Lavoué.

Lepetitjournal.com : L’objet de votre livre est de sortir des clichés sur le Brésil, mais la couverture présente des caricatures du pays (Lula, une danseuse de samba, un ballon de football, le Christ Rédempteur…)…

Virginie Jacoberger-Lavoué : La couverture est très caricaturale parce que c’est l’idée de la collection des Editions du Moment. Il y a toujours ce type de dessin, mais le livre est un véritable essai sociologique et politique. Comme l’indique le sous-titre, ce sont des chroniques insolites et insolentes d’un Brésil moderne méconnu. Mais en revenant aussi justement sur ces clichés qu’ont les Français pour aller bien au-delà de ceux-ci. Dans son ensemble, c’est un panorama généraliste, très accessible.

Parlons du contenu justement. Vous débutez votre livre par un événement douloureux, la fameuse défaite du Brésil face à l’Allemagne lors de la Coupe du monde 2014…
V.J.L.
: Oui, parce que comme l’ont souligné beaucoup d’éditorialistes, c’était un peu comme si le Brésil s’était retrouvé face à lui-même, face à la réalité. Le Brésil a beau faire partie des pays émergents, il s’est enfoncé depuis 2012 dans une crise économique importante et aujourd’hui sans précédent.

Avec l’opération Lava Jato, objet de votre deuxième chapitre, qui n’arrange pas les affaires du pays…
V.J.L. : Oui, je suis très fière de ce chapitre dans lequel je raconte en détails ce qu’il s’est passé depuis la révélation de l’affaire en mars 2014 avec des témoignages inédits dont celui de la première personne qui a porté plainte et sans laquelle Lava Jato n’existerait pas. J’ai également interviewé des juges et des procureurs proches de l’enquête. C’est important de montrer le travail qu’ils ont mené et il est intéressant de comprendre et analyser comment le juge Sergio Moro est devenu un symbole de cette affaire.

Pour cette partie sur l’actualité, vous avez eu de quoi faire…
V.J.L. : Jamais quand j’ai commencé à écrire le livre, je n’aurais pensé que le Brésil allait être si généreux avec moi en m’offrant l’année des JO une présidente destituée, la plus vaste affaire de corruption… Cette classe politique corrompue est allée beaucoup trop loin. Ce qui m’a le plus scandalisé, c’est l’argumentaire très pauvre des députés lors du vote sur la destitution de Dilma Rousseff, c’était irrespectueux vis-à-vis de leur pays. Sans compter les excès entre l’un qui salue la mémoire d’un tortionnaire et l’autre qui rappelle l’anniversaire de sa fille, c’est incroyable !

Un peu plus loin vient le thème des inégalités. Un vaste sujet…
V.J.L. : Il me semblait important d’expliquer aux Français que le Brésil a extrêmement changé, il a connu un cap de développement significatif parmi les pays émergents au début des années 2000. On retient ainsi l’émancipation d’une classe moyenne importante et même phénoménale. Contrairement à la Chine par exemple, le pays a totalement changé d’un coup et émergé, illustré par la fameuse phrase de Lula : "Pendant mes années, tout le monde s’est enrichi". Ceci étant, je voulais aussi montrer les limites de cette image car le Brésil reste l’un des pays les plus inégalitaires au monde, expliqué notamment par son abolition très tardive de l’esclavage, et c’est important de le rappeler.

En six ans de couverture du Brésil, comment analysez-vous cette chute ? 
V.J.L. : Economiquement, je me demande si on réalise vraiment ce qu’il se passe. Je ne pense pas qu’il y ait de cas similaire au monde. Aucun pays n’a connu une telle croissance puis une telle dégringolade. Onze points de croissance de différence, c’est colossal ! Même en six mois, je suis venue deux fois en février et en mai à Rio, j’ai constaté la dégradation phénoménale des choses. Même s’il a connu la crise de 2008 plus tard, en 2012, et qu’il y a de nombreux éléments mondiaux défavorables (matières premières, etc.), le Brésil a comme principal problème d’être un pays extrêmement étatique dans la manière dont il est géré aujourd’hui. Et le gouvernement de Dilma Rousseff n’a rien fait, c’est pour cela qu’il est devenu si impopulaire. Sans oublier le plus gros scandale de corruption jamais connu…

Vous pensez que Dilma Rousseff a une responsabilité dans cette affaire ? 
V.J.L. : Sur les montants détournés par son parti, je ne pense pas qu’elle ait fait de l’enrichissement personnel. Au départ, elle était justement populaire pour son attitude assez exemplaire, en renvoyant des ministres corrompus. En revanche, je pense qu’elle s’est fait rattraper par ce qu’il se passait. Ou elle est coupable, ou elle est responsable, c’est impossible qu’elle n’ait pas été au courant en étant au poste qu’elle avait à Petrobras. Ou alors c’est de la réelle incompétence…

Quant à sa destitution, elle parle d’un coup d’Etat, qu’en pensez-vous ?
V.J.L. : C’est très compliqué ! On ne peut parler d’un coup d’Etat comme d’un coup militaire. C’est quand même un parti qui était allié qui a pris le pouvoir, donc on peut plus parler d’une lutte de clans où tous les coups tordus ont été permis. Mais le processus de destitution en lui-même est resté respectueux de la Constitution, même les soutiens de Dilma Rousseff le reconnaissent. De plus, les charges invoquées sont lourdes, faire du maquillage budgétaire n’est pas quelque chose d’anodin et argumenter que d’autres l’ont fait avant elle ne tient pas. Après, je trouve aussi extrêmement choquant que le président intérimaire, malgré les bonnes mesures économiques prises par son gouvernement, ait des affaires derrière lui, tout comme l’ancien président de la Chambre des députés, Eduardo Cunha, qui a mené les débats. Malheureusement, on ne voit pas beaucoup de figures nouvelles pouvant apporter quelque chose d’autre… En revanche, du côté judiciaire, cette nouvelle génération de juges prouve que le Brésil avance.

Autre thème évoqué notamment, l’incontournable chirurgie esthétique, mais sans oublier l’obésité…
V.J.L. : Je voulais justement sortir du mythe et expliquer aux Français qu’il n’y avait pas que des super filles comme Gisele Bündchen. Quand on regarde les chiffres de l’obésité au Brésil, on constate que le pays s’est extrêmement américanisé et c’est un problème qui n’existait pas il y a 20 ans.

Vous parlez aussi du carnaval de Rio. Ce n’était pas un événement qui vous intéressait à l’origine, mais vous avez finalement changé d’avis ?
V.J.L. : Très honnêtement, j’étais assez perplexe parce que je n’aimais pas trop le côté strass et paillettes, mais après être allée dans les écoles de samba, voir les entraînements, etc. je me suis rendue compte de ce que cela pouvait représenter, des limites aussi côté financement. J’ai donc voulu expliquer la richesse du carnaval parce que j’ai été assez éblouie par cette ferveur et ce professionnalisme, cette profondeur de l’événement qui n’est pas qu’une parade.

Parlons un peu de votre rapport avec le Brésil. Comment est-il apparu dans votre vie ? 
V.J.L. : C’est professionnel. Je suis venue en 2010 faire un reportage à São Paulo que j’ai adoré. Et parmi toutes les personnes que je connais ou que j’ai rencontrées qui ont un lien avec le Brésil, j’en connais qu’une qui en tire un bilan négatif, une chef d’entreprise. Même ceux qui sont les plus critiques avec le pays, sur la bureaucratie notamment, il y a toujours un moment donné où ils vont vous dire qu’ils sont nostalgiques du Brésil ou qu’ils y retourneraient bien. Pour ma part, j’ai peut-être eu de la chance, mais j’y ai des amis formidables et le Brésil, pour une journaliste, est merveilleux parce que les gens y sont curieux, ils s’intéressent à vous et sont prêts à vous aider pour tout. Je n’ai jamais eu autant de contacts aussi facilement, dans tous les domaines.

Vous êtes confiante pour le déroulement des jeux Olympiques de Rio qui débutent la semaine prochaine ? 
V.J.L. : Comme pour le Mondial, si vous mettez tout sur le papier, c’est impossible que cela marche. Mais dans l’adversité, le Brésil est un pays très fier et digne, qui fait preuve d’une solidarité exemplaire. Je pense ainsi que cela va très bien se passer et que le Brésil va enflammer la planète ! J’ai voyagé à travers le monde et je n’ai jamais été accueillie comme je l’ai été au Brésil.

Mais après, le Brésil sortira quelque peu de l’éclairage médiatique. Pensez-vous que cela annonce un frein voire une régression des progrès entrepris ces dernières années ? 
V.J.L. : Je le pense malheureusement. Par exemple, pour ce qui est de la politique de pacification à Rio, le bilan n’est pas positif, cela n’a pas marché faute de moyens. Aujourd’hui, il n’y a plus d’argent dans les caisses, donc cela va être rude. Je ne vois pas comment ils vont gérer cela, mais c’est un vrai problème. Cependant, l’Etat brésilien a mis la main à la poche pour sauver les Jeux, je ne vois pas pourquoi il ne le ferait pas de nouveau pour renforcer la sécurité ensuite, sachant, par exemple, que les forces de l’ordre supplémentaires pour les JO resteront jusqu’aux élections municipales d’octobre. De manière générale, sur le long terme, on voit que malgré les mesures économiques prises par le gouvernement intérimaire, les prévisions pour 2017 ne sont toujours pas bonnes, donc le Brésil, sans nouvel événement phare à venir, risque de continuer à traverser une période très difficile. Pour autant, ce n’est pas non plus le pays de la désillusion totale, cela reste la 7e économie mondiale, avec une classe moyenne qui a extrêmement évolué, des ressources incroyables et toujours des moyens de progresser et attirer des investisseurs, notamment la France. Tout dépendra aussi de l’avenir sur le plan politique.

Pour finir, envisagez-vous d’autres ouvrages sur le Brésil ? 
V.J.L. : Tout à fait, je suis déjà en contact avec des éditeurs pour deux projets, dont un prioritaire puisque lié à l’actualité politique et économique du Brésil.

Ils sont fous ces Brésiliens
Virginie Jacoberger-Lavoue
Editions du Moment, 2016
17,95 euros

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