Paris - Musique

Qui es-tu Pierre Aderne?

Stephane de Langenhagen - 31 décembre 2014
Chanteur compositeur au nom gaulois, le Brésilien Pierre Aderne a fait ses armes à New York auprès de Melody Gardot et de Madeleine Peyroux. C'est à Paris qu'il nous reçoit, accompagné de son nouveau compère le pianiste et fils de : Philippe Baden Powell. Rencontre avec un lusophone convaincu.
© Antonio Pessoa 2014

Micmag Qu’est-ce que c’est un caboclo au sens de Pierre Aderne ?

Pierre Aderne : Un caboclo c’est un mélange de Blanc et d’Indien, ce qui est théoriquement mon cas : je suis fils d’une Brésilienne et d’un Portugais. Mais c’est surtout le surnom que me donnent mes plus proches amis. C'est ainsi que s'interpellent les personnes les plus simples de l’intérieur du Brésil, à Goiás ou à Minas Gerais, lorsqu’elles se rencontrent : « Et alors caboclo ?», « comment ça va caboclo ?» 

MicmagPourquoi ce choix de titre pour ton nouvel album?

Pierre Aderne : J’ai toujours eu dans l’idée d’enregistrer un disque qui soit un patchwork de toutes mes expériences musicales à travers le monde. J'ai d'abord vécu à Rio de Janeiro, à Brasilia et au Nordeste dans l’état de Paraíba. Des musiques comme la ciranda, le xote, le baião, le forró, le coco m’ont beaucoup influencé. Autant que la bossa nova et la samba. Plus tard, lors de mon séjour à New York dans les années 1990, d'autres musiques ethniques et la proximité avec le jazz ont joué un rôle important. Au Portugal, je me suis imprégné de fado, des musiques d'Afrique lusophone, de littérature portugaise et brésilienne. Toutes ces influences ne se résument pas à un mélange de Blanc et d’Indien; elles vont au delà et ont fait de moi un artiste.

Micmag : Est-ce que tu te sens caboclo à Lisbonne? Comment décrire la vie d’un Brésilien dans cette ville ?

Pierre Aderne : Comme le dit Fernando Pessoa : « Je me sens étranger partout.» La vie à Lisbonne est très intéressante. J’y ai retrouvé en partie les racines du Brésil d'aujourd'hui : un mélange d’influences africaines et indigènes et de colonisation européenne. Je me suis plongé dans l’univers de la langue et de la littérature du Portugal, qui se démarquent du portugais du Brésil, jusque-là ma seule référence. Lisbonne, c’est la rencontre des novelas (NDLR : feuilletons télé) brésiliennes avec l’accent de l’Alentejo (NDLR : région du sud du Portugal), du Cap- Vert, de la Guinée-Bissau et de l’Angola.

Micmag : Pourquoi être allé vivre au Portugal ?

Pierre Aderne : D'abord, parce que mon père est portugais. J’avais besoin d’approfondir mes liens avec ce pays. J’en avais gardé quelques souvenirs auditifs et olfactifs. Mais aussi, parce que j’ai ressenti à un moment donné le besoin de prendre mes distances avec le Brésil et surtout avec Rio. Enfin, parce qu’aujourd’hui, au plan musical, c’est à Lisbonne que se rencontrent tous les courants les plus intéressants. C’est ce que j’ai voulu filmer dans mon documentaire pour la télé Música portuguesa brasileira. Lisbonne est la seule capitale européenne qui vit à contre-courant du monde globalisé. Les relations y sont plus humaines, comme dans un village. C’est tout l’inverse de ce que je ressentais à Rio dernièrement.

Micmag : Lisbonne, c’est le dernier lieu de résistance en Europe ?

Pierre Aderne : Oui, peut-être bien. Même si c’est plus un hasard géographique. Pour moi qui donne régulièrement des concerts au Japon ou à New York, le Portugal est au centre de tout. J’y ai retrouvé aussi la sensation d’un retour en arrière vers une époque plus tranquille : celle à laquelle j’ai commencé à faire de la musique.

Micmag : Et à New York, quelles ont été tes impressions ?

Pierre Aderne : Ce qui est drôle, c’est l’ambigüité de cette ville : dans le tourbillon de New York, où se reflète la précipitation du monde actuel, on finit par avoir une relation plus authentique avec l’art. New York, c’est aussi une capitale multiculturelle sans véritable "patron". Alors qu’au Brésil, il y a un moyen de communication unique, une télévision qui édicte les règles culturelles et politiques du pays tout entier. À Lisbonne, tout est beaucoup plus naïf, dans le bon sens du terme. La musique portugaise en 2009 a démarré un processus identique au nôtre : celui du mélange. Finie la pudeur des Portugais, c’est ça aussi qui m’a enchanté.

Micmag : Aux États-Unis, comment s'est passée ton immersion dans la culture musicale?

Pierre Aderne : C’est incroyable comme je me suis senti chez moi en arrivant à New York. C’est une ville qui a été bâtie par des gens qui me ressemblent, avec plusieurs patries. En plus, la curiosité pour ce qui est nouveau m’a poussé à aller vers des musiques auxquelles je n’étais pas habitué. J’y ai découvert notamment le Nublu Club, un établissement de jazz fondé par le Turco-Suédois Ilhan Ersahin. Puis j’ai joué en duo avec Madeleine Peyroux. En somme, ma musique, c’est juste une histoire d’accents. Qui va bien au delà de la compréhension de base que j’en avais, sans parler de ma propre marque de fabrique, et de mon accent de Brasilia, dont je n’ai pris conscience qu’en débarquant à Rio. En arrivant à New York, j’avais déjà ma façon à moi de faire de la musique, ma propre bossa, proche du jazz. Cela vient de mes premiers disques, celui de João Gilberto avec Stan Getz, ceux de Tom Jobim.

Samba et bossa nova sont plus un état d'esprit que de simples rythmes

Micmag : Que tu te trouves à New York ou à Lisbonne, finalement, ta musique est 100% brésilienne : quelles sont tes principales influences?

Pierre Aderne : Je me suis toujours identifié aux artistes à petite voix, mais à texte : João Gilberto, pour son langage minimal et son engagement avec les mots. Hormis lui et Tom Jobim, je me sens proche de Tom Waits, de Bob Dylan et de Leonard Cohen. Pour les Brésiliens, de Caetano Veloso, de Chico Buarque, de Luiz Gonzaga, et surtout de Paulinho da Viola, spécialement pour sa chanson Pecado capital, une samba.

Micmag : Que représente pour toi la samba ?

Pierre Aderne : Pour moi, samba et bossa nova sont plus un état d’esprit que de simples rythmes. Il est là même lorsque je chante du rock, du fado ou des mornas (NDLR: musiques nostalgiques du Cap-Vert). De toute façon, la samba existe dans l’ADN de certains de mes partenaires, comme Rodrigo Maranhão, Edu Krieger et Gabriel Moura, qui signent des chansons pour Maria Rita, Roberta Sá ou Seu Jorge. Moi–même, j’ai beaucoup fréquenté le quartier de Lapa à Rio, et particulièrement la boîte Semente pour écouter Teresa Cristina et sa samba authentique. Je joue du cavaquinho, de la guitare, mais je n’ai jamais participé à des rodas de pagode.

Micmag : As-tu des écoles de samba fétiches ?

Pierre Aderne : En premier lieu Portela, pour Paulinho da Viola et Clara Nunes, pour la Velha Guarda, la vieille garde des compositeurs de l'école, et pour ses sambas classiques au rythme lent. J'apprécie beaucoup Salgueiro, dirigée dans les années 1990 par un groupe de compositeurs formidables et un puxador (NDLR: chanteur de l'écolehors pair, Dominguinhos do Estácio, qui m’a beaucoup influencé. Et aussi Mangueira, parce que je suis devenu très ami avec son président Ivo Meirelles, avec qui je compose, et parce que j’ai eu la chance un jour, lors d’une des répétitions de l’école, de chanter avec le grand Jamelão. Mais à mes yeux, la meilleure école, c’est Vinicius de Moraes : ma relation à la musique a toujours été fortement associée aux mots. Impossible par exemple de penser à Tom Jobim sans penser à Vinicius de Moraes. Quant aux grandes voix de la samba, c’est incontestablement Elis Regina qui m’a le plus marqué, pour les morceaux signés Aldir Blanc et João Bosco : des histoires incroyables, de véritables enredos (NDRL: thèmes) d’école de samba.

Micmag : Avant Rio, tu vivais à Brasilia : as-tu fait partie de la vague rock des années 1980 venue du Distrito Federal?

Pierre Aderne : Oui. J’ai commencé ma carrière deux ans après Legião Urbana et Capital Inicial, en chantant dans un groupe de rock, Habeas Corpus. Dans ce groupe, il y avait le célèbre producteur Tom Capone à la guitare, Dunga (aujourd’hui musicien d’Adriana Calcanhotto) à la basse et Mac Williams à la batterie. On avait 18 ans. Brasilia c’était le Truman Show : on se rêvait tous communistes, car on habitait tous dans des appartements identiques, dans une ville où l’architecture est une œuvre d’art. En plus, le rock de Brasilia était connecté avec le reste de la planète, bien avant l’arrivée d’Internet : entre fils de diplomates on avait accès aux informations musicales du monde entier, et cela dans une ville très ouverte culturellement, où tout était possible et à construire. C’est par hasard que j’ai décidé de faire mes débuts artistiques à travers un groupe de rock, plutôt que de commencer par la photographie, la vidéo, la danse ou les arts plastiques : une semaine après avoir entendu Vital e sua moto, le premier tube des Paralamas do Sucesso, j’ai rencontré Herbert Vianna leur chanteur, et je me suis dit : voilà comment j’ai envie de m’amuser! À l’époque, j’étais en fac d’éducation physique, je voulais être nageur professionnel.

Micmag : Qu’as-tu gardé du langage de cette époque ?

Pierre Aderne : L’émerveillement pour tout ce qui est nouveau, pour l’inconnu, l’agitation. J’essaye de ne pas oublier que la matière première de la création se nourrit de cet état d'esprit, lequel permet de passer de la feuille blanche au mélange de toutes les teintes et les couleurs disponibles.

Micmag : Qu’attends-tu de la France aujourd’hui en venant humer l’air parisien?

Pierre Aderne : La chanson française a intégré depuis longtemps la bossa nova, grâce notamment à Pierre Barouh et à Henri Salvador. Il fallait que je vienne ici pour m'imprégner de ce mélange. Mais ma relation avec la France est plus profonde que ça. Je suis né à Toulouse et mes parents qui ne pensaient pas quitter le pays m’ont donné un prénom français : Pierre. Mon nom, Aderne, c’est le nom d’un arbre du Brésil mais tout le monde pense que c’est d'origine française. Côté musique, je compose avec Melody Gardot, une américaine de Philadelphie qui a un nom à consonance française. Avec elle j’ai fait l’Olympia. Maintenant, je commence à écrire des chansons avec Philippe Baden Powell qui vit à Paris depuis dix ans. C’est une vraie rencontre au sens où son père l’entendait : vécue avec amitié et passion, sans trop se poser de questions.


Remerciements  à Élise Barry et Antonio Pessoa.



Propos recueillis par Stephane de Langenhagen
"Caboclo" : Pierre Aderne - 14 titres (indé)
www.pierreaderne.net

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