07-11-2011 14:44:50

Colombie : théâtre de rue, étudiants contre privatisation des facs !

Le mouvement étudiant colombien s’évertue à faire reculer le gouvernement sur sa décision de réformer la loi 30 (privatisation partielle des universités publiques). Face à un gouvernement sourd, les étudiants tentent de séduire l’opinion publique par le théâtre de rue.
Timothée L'Angevin (Bogotà)

Défilé théâtral, slogans poétiques, révolte artistique. Le mouvement étudiant colombien tente de séduire, à sa manière, celui qui fera office d’arbitre dans la lutte acharnée contre le gouvernement : le peuple. Elégance et ironie deviennent les armes les plus redoutables. Et bien qu’il s’embourbe depuis un mois, l’imagination et la créativité ne lui font pas défaut.

Le gouvernement jusqu’à présent n’a rien cédé, déterminé à réformer à tout prix la loi 30, qui implique la privatisation partielle des universités publiques. Malgré son arsenal médiatique, sa fermeté et son immobilisme, l’opinion publique, qui sent venir de loin la tempête de la crise occidentale, est lasse des réformes néolibérales.

Créativité contre fermeté, la bataille s’enlise mais ne manque pas de surprendre.

Croix et crédits

Sur la 3ème avenue, en plein centre de Bogotá, une procession singulière avance lentement. Ils sont une douzaine : certains ont les pieds enchaînés à des boulets, d’autres portent d’imposantes croix. L’épuisement se lit sur leur visage. A l’arrière du cortège, le bourreau armé d’un fouet frappe sans retenue les plus faibles. Certains s’écroulent sous le poids de leur fardeau ; d’autres continuent leur marche d’esclave pour finalement s’effondrer et demander grâce.

Ce n’est cependant pas une cérémonie religieuse, et les protagonistes de ce cortège ne sont ni Jésus ou ses apôtres, mais des étudiants. Le bourreau tortionnaire, étudiant également, porte un masque du président Juan Manuel Santos. "Par le biais de ce symbole religieux" explique-t-il, "nous voulons montrer que le poids de la croix est similaire au poids des crédits dont nous avons besoin pour pouvoir étudier […], étudier 5 ans et payer 20 ans". L’un des enchaînés ajoute : "nous voulons sensibiliser d’une manière ludique, artistique. Un mouvement créatif laisse beaucoup plus de traces dans la mémoire des gens qu’un mouvement ordinaire". Le bourreau remet son masque et aboie à l’intention des martyres : "Marchez, vous êtes et serez les esclaves d’Icetex !"

"Des étudiants endettés sur 15 ans"

Icetex[1], dont le siège est le point de rendez-vous de la manifestation de cet après-midi, est l’organisme contre lequel le mouvement étudiant est en grande partie orienté. Créé en 1955 par le ministre de l’Education de l’époque, Gabriel Betancourt – père d’Ingrid Betancourt – cet organisme attribue aux étudiants les crédits financiers, pour leur permettre d’accéder au luxe de l’éducation supérieure (les universités étant, publiques comme privées, payantes).

"Bien qu’Icetex soit un organisme étatique, il fonctionne comme une entreprise privée" hurle Oliver pour couvrir le vacarme du sit-in, "mais pire qu’une banque puisqu’il propose des crédits à des taux très élevés". Les taux de l’Icetex, selon les ressources financières de l’étudiant, sa discipline et son grade universitaire, se fixent entre 4 et 12% par an. Soit des endettements de plus de 15 ans pour les étudiants qui ont recours au prêt.

"Le gouvernement, petit à petit, a lâché du lest", continue Oliver, "il a promis de nous offrir des prêts à des taux zéro. Mais en réalité, en nous faisant de telles propositions, il passe à la trappe nos réelles exigences : une éducation publique, gratuite et universelle".

 Théâtre de rue sur la 7ème avenue

Un peu plus loin, la manifestation bloque la circulation sur la 7ème avenue avec la 19ème rue, centre névralgique de Bogotá. Les citadins intrigués observent les trois étudiants qui montent sur une estrade improvisée. Le premier, mégaphone en main, donne la parole à une étudiante au visage caché par le masque de la ministre de l’Education, María Fernanda Campo : "les universités publiques seront financées par des entreprises privées… heu… pardon, par l’Etat ! Le gouvernement se chargera de subvenir aux besoins des plus rich… défavorisés !" Alors qu’un concert de sifflements accompagne son hypocrisie, son voisin de droite, le masque du président Santos sur la tête, applaudit généreusement.

L’animateur poursuit : "Je donne à présent la parole à Son Eminence, le Docteur Juan Manuel Santos !!!" Le président prend la parole : "Je ne permettrai en aucun cas que certains agitateurs qui n’ont pas lu la loi bloquent les rues ! Nous vivons dans un régime démocratique et cette réforme sera adoptée, un point c’est tout !" Sous une pluie de huées, Santos lève fièrement les bras. "Infarctus !!" fulmine un manifestant, sitôt suivi par une foule qui s’effondre, gravement atteinte au cœur.

Ces scènes de théâtre enchantent les passants et vendeurs ambulants, pris au jeu. Un marchand de sacs annonce justement dans son petit ampli de poche : "A 5 000 pesos le sac, contre la réforme de la loi 30, à 5 000 pesos le sac, pour une université gratuite…" Un vieil homme s’approche d’un groupe de jeunes déguisés en clown : "vous avez raison de protester, c’est tout ce qu’il nous reste ! En plus vous nous amusez !"

La marche se terminera en musique le long de la 7ème avenue jusqu’à la place Bolívar, devant le palais présidentiel et le Congrès. Cependant, les scènes de théâtre de rue et autres spectacles ironiques n’affecteront pas, ni n’amuseront le gouvernement. Impassible derrière les piliers de marbre du Congrès, sa détermination restera sans failles, aussi mal perçue soit-elle par les étudiants et l’opinion publique.

[1] Instituto Colombiano de Crédito Educativo y Estudios Técnicos en el Exterior


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