France/Mexique - Ciné

"Nous, nous pensons qu’il y a une politique d’Etat qui vise à emprisonner les jeunes"

Marie Torres - 26 mars 2014
Juan Felipe, Samuel Guzmán Cuevas étaient au Salon du Livre de Paris pour présenter "Du braquage au violon", documentaire –complété par un ouvrage-, réalisé par Samuel Guzman Cuevas, sur la question carcérale au Mexique et sur la place qu’occupe la musique dans le quotidien des détenus. Rencontre

Drogue, délinquance, corruption… C’est un peu ce qui nous vient à l’esprit lorsqu’on évoque le milieu carcéral d’autant plus lorsqu’il s’agit du Mexique. Sans pour autant occulter ce côté sombre, Juan Felipe et Samuel Guzmán Cuevas ont préféré, dans leur documentaire "Du braquage au violon", mettre la lumière sur la place qu’occupe la pratique de la musique dans le quotidien des détenus. Ils nous transportent à l’intérieur de cinq prisons de Mexico (3 d’hommes et 2 de femmes) à la rencontre de détenu(e)s qui ont mis la musique au cœur de leur vie. A travers les témoignages des prisonniers –du documentaire et du livre- ce sont des parcours et des histoires différentes qui se dessinent avec cependant un point commun : l’espoir de la liberté et la musique comme forme d’évasion.

Micmag.net : comment vous est venue l’idée de produire "Du braquage au violon" ?

Juan Felipe et Samuel Guzmán Cuevas : en 2009, nous avons été amenés  –avec Samuel– à réaliser une série de reportages pour le "Festival de música interna", pour lequel des musiciens ont joué à l’intérieur des prisons de Mexico. Nous avons eu la chance d’entrer dans ces lieux, de connaître ce monde si semblable et à la fois si différent de celui de dehors, de connaître les détenus et de revoir nos préjugés. Et, comme il y a beaucoup de très bons musiciens en prison, comme être musicien "à l’intérieur" c’est très différent d’être musicien "à l’extérieur", de tout cela est née l’idée de réaliser ce documentaire.

MM : difficile de pénétrer dans les prisons ?

JF-SGC : oui, c’est compliqué ! On a besoin de nombreux permis. Beaucoup de bureaucratie. Mais comme le documentaire devait traiter une question culturelle, cela a été plus facile d’obtenir les autorisations. Nous ne voulions pas montrer les questions qu’abordent généralement les grands médias : violence, corruption, drogue ou trafics. On sait ce qui se passe mais nous ne voulions pas aborder le documentaire de ce point de vue.

Mais il y avait toujours des personnes qui nous accompagnaient. Des personnes de la Communication sociale, de la Culture en plus des gardiens de la prison, toujours derrière nous à écouter ce que les prisonniers nous disaient. Les gardiens avaient le plan de nos interviews, qui avait été validé par les autorités de la prison, et ils vérifiaient si ce que nous demandions était conforme à ce qui se trouvait sur leur plan.  

MM : où se sont déroulées les interviews ?

JF-SGC : au début, nous étions confinés dans les auditoriums. Mais au bout de quelque temps, la confiance s’est installée et on a été autorisé à faire des interviews dans les cellules et sans la présence des gardiens.

MM : que représente la musique pour les prisonniers ?

JF-SGC : avant tout, elle leur permet d’avoir de l’argent pour payer.

MM : pour payer ?

JF-SGC : par exemple, pour manger vous devez donner l’équivalent de 50 centimes d’euro par jour. C’est l’un des principaux besoins. Mais pour passer une porte vous devez également donner quelques centimes au gardien.

MM : qu’entendez-vous par "passer une porte" ?

JF-SGC : quand vous êtes dans votre cellule, si vous désirez vous rendre dans un autre endroit de la prison, ceci est "passer une porte". Si vous n’avez pas d’argent, vous restez dans la cellule et le couloir. Vous devez aussi payer pour l’appel. Trois fois par jour. Car si vous ne payez pas le gardien, il peut dire que vous n’étiez pas présent dans votre cellule au moment de l’appel et ceci est un problème qui peut vous mener au cachot, un lieu souterrain et obscur, sans lit où on est très mal. Tout ceci s’appelle corruption, n’est-ce-pas ?

MM : où les prisonniers jouent-ils ?

JF-SGC : ils profitent des jours de visite pour jouer dans les espaces communs, là les visiteurs leur donnent un peu de monnaie. Ils animent aussi les mariages qui ont lieu en prison car il est interdit de recevoir la visite de son amie si on n’est pas marié. C’est comme cela qu’ils se gagnent la vie.

MM : quelle musique jouent-ils ?

JF-SGC : un peu de tout. Du reggae, du rock. Aussi du ranchera, salsa ska, punk, funk, rap. Ils jouent une musique très riche et les paroles des chansons sont originales : elles sont composées en langage canero, un argot carcéral qui témoigne de la dureté du quotidien des détenus.

MM : beaucoup de jeunes incarcérés ?

JF-SGC : oui car il y a une politique qui va dans ce sens. 70 % des détenus des prisons du Nord et de l’Est de Mexico ont entre 25 et 30 ans.

MM : les raisons ?

JF-SGC : d’abord, il n’y a pas de travail. Le pays traverse une grande crise de chômage depuis plus de 20 ans et il y a une hausse de natalité. Si bien que les personnes nées entre les années 60 et 80 n’ont pas de travail fixe, elles ont des emplois précaires d’une semaine puis plus rien. Alors il y a des "quotas d’arrestations". Si un policier arrête une ou cinq personnes en un mois, il a une prime. Et bien sûr, on peut inventer un délit : un vol de pain ou un casse dans une banque et au Mexique, voler un pain ou une banque, c’est pareil. Et c’est votre parole contre la leur et pour avoir un procès légal, vous devez attendre plusieurs années… pendant lesquelles vous êtes en prison tout en étant innocent. Ensuite un juge vous dit "Vous pouvez sortir" mais au bout de 3 ans…

C’est pour cela que les prisons sont surpeuplées. Par exemple, les prisons de l’Est et du Nord de Mexico ont été conçues pour accueillir 7 000 détenus et aujourd’hui il y en a 14 000. Dans les cellules de 5mx4m, on trouve 20 personnes –cellules de personnes pauvres– et dans d’autres ils ne sont que 4…

MM : pourquoi un ouvrage ?

JF-SGC : il complète le documentaire. Il est composé de plusieurs chapitres : un entretien avec les réalisateurs, un aperçu historique des prisons au Mexique, une réflexion sur les espaces carcéraux, une analyse du langage canero ou argot carcéral. Il y a aussi des témoignages de détenus sur leur quotidien et le rôle de la musique et des récits de vie de prisonniers. Pour le moment, il n’a été publié qu’en français…

Marie Torres
Du braquage au violon
Juan Felipe Guzmán Cuevas
+ DVD de Juan Felipe et Samuel Guzmán Cuevas
Editions CMDE, 2014
20 euros

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