Monde - Lire - Interview

ERIC-EMMANUEL SCHMITT - "J’ai découvert que j’étais français à l’étranger"

Jérémy Patrelle (www.lepetitjournal.com) - 31 octobre 2014
Romancier, réalisateur, dramaturge, conteur. À 54 ans, Éric-Emmanuel Schmitt est une machine naturelle à créer. À succès aussi puisque ses œuvres littéraires et théâtrales sont saluées de par le monde et reçoivent des récompenses en Italie, en Espagne, en Allemagne, en Suisse et, bien sûr, en France
© Stéphane de Bourgies
Lepetitjournal.com - Au début de votre nouveau roman, avec ces quatre adolescentes qui se ressemblent comme deux gouttes d’eau, on a peur de se mélanger les pinceaux. Mais finalement, tout est d’une fluidité imparable…
Éric-Emmanuel Schmitt - Il faut me faire confiance ! J’ai choisi le roman épistolaire car c’est comme une pièce de théâtre, il n’y a pas de narrateur, et on entend directement la voix des personnages. Et comme je viens du théâtre, qui est ma colonne vertébrale, il en reste une assurance qui consiste à s’appuyer sur la voix des personnages qui font se faire entendre et que l’on va reconnaître. Après, il est vrai que j’ai pris quelques risques en voulant que les personnages se ressemblent. Elles sont ici amies pour toujours, pensent-elles. C’est l’amitié de l’adolescence qu’elles définissent comme suit : « ma meilleure amie, c’est moi mais en mieux. » Elles sont toutes les quatre comme ça, mais plus on avance dans le livre plus elles vont être différentes et ce qui va finir des les différencier, c’est l’irruption dans leur corps des désirs et dans leur psychisme des sentiments.

Elles sont finalement très égoïstes ces jeunes filles. C’est naturellement lié à l’adolescence ?
L’égoïsme est spontané chez l’être humain. L’instinct de vie, comme de survie, est égoïste. De plus, elles sont dans l’âge de la construction du moi social. À l’adolescence, on peut mourir d’avoir entendu une phrase sur soi ou de ne pas l’avoir entendu. On est fragile. Et très centré sur soi-même, même si nous avons besoin du clan et que nous recherchons l’autre en tant que partenaire amoureux. Ce sont les prémices de toute une vie. Et c’est finalement très romanesque car tout est excessif. Un adolescent peut se contredire avec la même intensité d’une seconde à l’autre. Mais personne ne se rend compte à quel point il subit le règne des premières fois.

Pourquoi avoir choisi Roméo et Juliette comme toile de fond ?
C’est la grande légende d’amour adolescent dans la culture occidentale. C’est un conte merveilleux et tragique, qui correspond à l’adolescence. Au début, je suis sur un ton primesautier et allègre, je voulais que grâce à la présence de Roméo et Juliette, on saisisse que le roman allait devenir plus sombre, plus cruel, et explorer d’autres horizons que la lumière innocente du début. Je donnais un rendez-vous avec une histoire terrible.


"J’ai l’impression que c’est quelqu’un d’autre qui vit tout mon succès"

Le Poison d’amour forme un diptyque avec L’Elixir d’amour où un couple se sépare et se raconte la vie de chacun à des milliers de kilomètres. Qu’est-ce qui vous passionne tant dans l’amour ?
J’aime qu’une histoire soit une histoire avec ses contrastes, ses coups de théâtre et ses émotions. J’aime aussi qu’elle soit le dépliement d’une analyse toujours plus précise de ce dont je parle. Ce diptyque c’est deux courts romans d’amour. Ils montrent que selon la dose à laquelle on prend une substance, c’est un poison ou un médicament. Et toute molécule en excès peut être toxique. Et l’amour quand il envahit tout un corps, il peut tuer ou être un délice. Ce sont aussi deux romans épistolaires. Un genre renouvelé aujourd’hui par la technique de l’e-mail, avec une rapidité d’échanges qui est loin des lettres de de Laclos dans Les liaisons dangereuses ! C’était beaucoup plus réfléchi, moins sur l’humeur.

Vous sortez également un livre sur les animaux, Le carnaval des animaux. En plus des romans, du théâtre, des films… Vous êtes un malade de travail en fait ?!
J’ai toujours été comme ça ! Et je récuse le lieu où vous vous placez vous et tous les autres qui disent que j’en fais beaucoup. Dans un autre siècle, j’aurais été tout à fait normal. Les écrivains du passé, ils étaient aussi féconds que moi. Aujourd’hui, on est asservi à l’ère de la publicité, du marketing et de la communication. On est considéré comme meilleur auteur si on fait un livre tous les trois ans, car c’est facile à promouvoir… Moi qui suis une fontaine à textes… Parfois mon éditeur me retient et ça m’embête tellement que je vais faire une pièce de théâtre. J’en ai par exemple trois à Paris en ce moment. Et je ne sais pas combien en province et dans le monde… Et puis quand j’en ai assez, je fais un film de cinéma, puis un livre de contes, etc… Le rythme du marketing, de la communication et de la pub n’est pas celui de ma création. Je pose des problèmes mais mon éditeur est content de moi, je suis un pilier. Et je me trouve tout à fait normal ! 

Et comment votre égo gère le fait de voir vos livres vendus dans 50 pays et traduits en 43 langues en livre, et d’avoir le même succès en théâtre ?
J’ai l’impression que c’est quelqu’un d’autre qui vit tout ça. Moi je suis sur ce que j’écris en ce moment et ce que j’écrirai demain. Je ne jouis pas de tout, et je ne me réjouis pas assez. Mais, finalement, ce qui me réjouit profondément, c’est d’être en train de créer. Je ne suis pas amnésique, je sais parfaitement ce que j’ai écrit. Mais je suis un peu comme un acteur qui remet ça tous les soirs sur scène. 

« Les meilleurs livres se sont faits à moitié par le lecteur »

Lorsque vous voyagez à travers le monde, vous êtes un auteur français ou belge, du fait de votre double nationalité acquise depuis 2008 ?
Français ! J’ai d’ailleurs découvert que j’étais français à l’étranger. Que je représentais quelque chose de caractéristiques de la France : le mélange de légèreté et de profondeur. Ce que j’écris est aimable, emporte le lecteur. Beaucoup de lecteurs me disent par exemple que je suis un écrivain toboggan : quand on commence, on va au bout. Je déteste m’ennuyer et ennuyer l’autre donc je vais vite, j’use des charmes de la narration pour créer de l’émotion. Mais en même temps, je suis normalien, agrégé, docteur en philosophie, et tout ce que j’écris a des racines. J’aime concentrer ma pensée dans des aphorismes, des phrases trappes qui s’ouvrent sous vos pieds mais qui vous appartiennent car elles créent un espace de réflexion. Ce mélange-là paraît très français aux yeux des étrangers. En Allemagne, où j’ai vendu des millions de livres, un auteur philosophique affichera les signes du sérieux, et un auteur léger restera dans la légèreté. En revanche, aux Etats-Unis, je ne peux pas être à la fois un auteur intellectuel et populaire comme je le suis partout en Europe. Là-bas, je suis un auteur d’élite, avec Le Clézio dans les vitrines. La rapidité, l’ambigüité, le paradoxe, la fin ouverte, le suggéré sans jamais décrire… Tout ça est élitiste pour eux. Les Américains ne sont pas férus du suggéré alors que je pense que les meilleurs livres sont ceux faits à moitié par le lecteur.

© P Catherine Cabrol

Pourquoi alors avoir décidé de vivre en Belgique et de demander la nationalité locale ?

C’est une histoire d’amour, privée. Je me suis installé en Belgique et quand j’ai vu que j’étais si heureux, j’ai tout mis là-bas : système d’impôts, de santé… Et j’en avais marre d’être un citoyen de seconde zone qui ne vote pas, donc j’ai demandé la nationalité belge quand j’ai su que l’on pouvait en même temps garder la nationalité française.

Et si je vous dis que le succès et l’argent amassé vous ont fait partir de France ?
Je l’ai entendu cent fois, oui. Écoutez, à chaque fois je dis non…

Et la Belgique, au finale, c’est mieux que la France ?
J’adore la folie douce la Belgique, cet imaginaire ouvert, cette fantaisie chaleureuse dans la vie de tous les jours. Leur modestie aussi, j’essaie d’ailleurs être le plus Belge possible à ce niveau-là ! Mais je peux aussi vous faire un chant d’amour sur la France ! En Belgique, il me manque l’amour de la langue, eux en ont trois. Et je dirai presque qu’aucune d’entre elles n’est bien parlée ! (rires) En France, il y a un public immense pour tout ce qui est culturel et artistique. Et puis il y a un goût de la beauté qui a ses racines dans les 17è et 18è siècles que j’aime passionnément : cet ordre harmonieux et élégant.

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