Salvador de Bahia, Brésil - Musique, interview

Virgínia Rodrigues, de l'église aux orixás

Stephane de Langenhagen - 14 mai 2016
Première scène, premier disque, premières rencontres spirituelles avec le candomblé et Tiganá Santana... La diva des orixás se livre dans un long entretien exclusif à la façon des "premières fois". Portrait.

Virgínia Rodrigues - Photo Patrice Dalmagne.

Micmag : Quel est le premier disque que vous avez acheté ?

Virgínia Rodrigues : Mon premier disque, c'était un 33 tours d'Aretha Franklin. J'avais 11 ans, ma mère travaillait sur le marché de São Joaquim. J'ai vu ce disque d'une femme noire par terre, au milieu de vieux objets, la pochette m'a plu, je l'ai acheté. J'allais l'écouter chez un ami : il n'y avait même pas de tourne-disques à la maison, seulement la radio ! Mon frère se moquait de moi en disant que j'allais le faire tourner avec le doigt.

M. : Qu'est-ce que vous écoutiez à la radio ?

V.R. : Je suis d'une époque où il n'y avait pas de monopole, la radio brésilienne passait de tout. J'aimais beaucoup Elis Regina, Clara Nunes, Eliana Pittman, Caetano, Gil & Bethânia, Roberto Carlos et Bidu Sayão, que je pensais être un homme.

M. : Quel a été le premier concert auquel vous avez assisté ?

V.R. : Mon premier concert, ce fut celui d'Angela Ro Ro au Théatre Castro Alves dans les années 1980. Notre voisin faisait partie des portiers, il nous a tous fait entrer sans payer. J'aurais voulu avoir la chance d'assister à un concert de Clara Nunes, mais elle est morte durant mon adolescence. J'ai beaucoup beaucoup pleuré à sa mort.

M. : Est-ce que vous vous rappelez de la première fois où vous êtes montée sur une scène ?

V.R. : La première fois que je suis montée sur scène, c'était en 1997 quand je faisais du théâtre. La pièce s'appelait Bye Bye Pelô (NDLR : le Pelourinho, quartier historique colonial de Salvador). J'étais très nerveuse. Je n'avais rien à dire et je marchais d'un bout à l'autre de la scène. À la fin, il y avait un enfant des rues qui mourrait pendant que je chantais en latin. Par la suite, j'ai enregistré cette musique, Verónica, pour mon premier disque Sol Negro.

M. : Cette expérience du théâtre vous a-t-elle aidé pour monter sur des scènes comme le Carnagie Hall à New York ou le Royal Albert Hall à Londres ?

V.R. : Le théâtre, c'est la première école de la scène. Le théâtre m'a aussi permis de voyager. Avant de lancer mon premier disque, je suis allée à Londres jouer une pièce dans laquelle je dansais et je chantais nue. Et j'étais la seule de la troupe à le faire.

M. : Qui vous a emmenée à l'église pour la première fois ?

V.R. : La première fois que je suis allée à l'église, c'était avec ma mère dans mon enfance. D'abord à l'église catholique, puis à l'église protestante où j'adorais les chants que je trouvais bien plus intéressants à l'époque. J'ai fréquenté les baptistes, alors que ma mère allait à l'église universelle (NDLR : Igreja Universal do Reino de Deus, évangéliste). Tout le monde a ses défauts...

M. : Vous rappelez-vous  de la première fois où vous êtes allée au Candomblé ?

V.R. : Ma première visite au Candomblé a eu lieu lorsque je faisais partie de la chorale du monastère de São Bento. Je me posais beaucoup de questions mais je n'avais pas les réponses. J'ai rencontré mon premier zélateur spirituel, que l'on appelle au Brésil père ou mère de saint. Il a tiré les coquillages et m'a donné les réponses que j'attendais. Depuis de ce jour, j'ai embrassé la religion du candomblé. Je suis fille d'Ogum (NDLR : orixá du feu et de la guerre), de Nanã (NDLR : divinité âgée associée aux eaux de pluie, elle est le point de contact avec la terre) et de Iemanjá (NDLR : la déesse de la mer). Ce sont les orixás qui accompagnent le fondement de mon âme.

M. : Le candomblé est une partie importante de votre vie ?

V.R. : Je suis constamment connectée aux orixás (NDLR : divinités du candomblé), je dialogue avec eux. Ils m'ont appris ce qui est erroné et m'ont permis de me trouver, de m'améliorer et de grandir spirituellement en tant qu'être humain. Le monde court après les richesses matérielles et il y a beaucoup de pauvreté spirituelle dont personne ne se soucie. Pour moi, c'est ce qu'il y a de pire.

M. : Vous souvenez-vous de votre première rencontre avec Tiganá Santana ?

V.R. : La première fois que j'ai vu Tiganá Santana, un ami commun complètement dingue s'est pointé chez moi à Itapoã, avec lui, sans prévenir. C'était un jour où je n'avais envie de voir personne. Je me rappelle parfaitement comment il était habillé : avec une chemise verte, en jean, avec des lunettes et sa guitare à la main. On a mis du temps pour réussir à se revoir et un jour il est revenu avec son ampli pour jouer ses chansons. On est resté toute la journée et toute la nuit à bavarder, en mangeant du filet mignon et des pâtes ! Depuis ce jour, on ne se quitte plus. On a le même zélateur. C'est un être humain d'une grande bonté et d'une grande richesse spirituelle; et j'ai découvert, à travers lui, qu'il existait encore d'excellents jeunes musiciens de sa génération à Bahia.

M. : C'est Tiganá Santana qui a eu l'idée du violoncelle pour votre nouvel album, Mama Kalunga ?

V.R. : Mama Kalunga a été conçu à deux et nous a pris quatre ans de discussions pour le finaliser. J'ai choisi cinq chansons de Tiganá, j'en aurais même mis d'avantage sur l'album. Lui m'a convaincu de chanter Nos horizontes do mundo de Paulinho da Viola alors que je n'aime pas le chorinho. C'est lui aussi qui a eu l'idée de faire venir Ruth de Souza (NDLR : actrice légendaire, fameuse pour avoir été la première artiste noire à monter sur la scène du Théâtre Municipal à Rio en 1945) pour rendre hommage à notre mère de saint, Mameto Zulmira (NDLR : Virginia tire une photo de son portefeuille et nous la montre) à travers la poésie

M. : Qui est cette Mama Kalunga, au final ?

V.R. : Mama Kalunga, c'est la mère de toutes les eaux en Kikongo (NDLR : langue parlée en Angola, au Congo et au Gabon), que Tiganá parle couramment. Ce garçon m'a permis de rencontrer mes ancêtres à travers cette langue. Il pourrait être mon fils : j'ai 52 ans, il en a 31 et c'est lui qui m'apporte la connaissance !

M. : Est-ce que vous faites partie d'un bloco afro ?

V.R. : Je n'ai jamais aimé le carnaval. Quand j'étais petite, j'y allais avec mes parents, mes frères et mes soeurs. Je pleurais tellement que mon père était obligé de me ramener à chaque fois à la maison. Mais j'adore Ilê Aiyê. Bien que je n'ai jamais défilé avec eux.

M. : Vous rappelez-vous de votre première interview ?

V.R. : Ma première interview a été pour la chaîne de télé Globo News. C'était juste après avoir été lancée par Caetano Veloso. J'étais très nerveuse, j'ai bégayé comme une folle. Ça a été bien pire encore avec le journaliste du New York Times qui m'a interviewé peu de temps après au Copacabana Palace !

Propos recueillis par Stephane de Langenhagen pour www.micmag.net

(Crédit photo/vignette de une : ©Soraya Camillo)




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