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NOEMIE LVOVSKY - "Le cinéma français est plus chanceux que les autres cinémas européens"

Jérémy Patrelle (lepetitjournal) - 28 novembre 2014
Avec Laura Smet et Marina Foïs, Noémie Lvovsky compose le trio drôle et émouvant du film, Tiens-toi droite, réalisé par Katia Lewkowicz, en salles depuis le 26 novembre. Quelques jours avant la sortie du long métrage, rencontre l’actrice et réalisatrice. Ses métiers, le verbe être, son enfance…
Noémie Lvovsky joue Sam, une maman débordée mais déterminée

Combien de fois vous a-t-on dit "Tiens-toi droite" ?
Noémie Lvovsky - Jamais ! (rires) Mais j’espère, au moins symboliquement, qu’au sens figuré je me tiens droite dans ma tête. 

Des trois personnages principaux du film, le vôtre, Sam, est celui qui suscite le plus d’empathie. À cause de son réalisme ?
Me concernant, je n’ai pas plus d’empathie pour l’un des trois personnages, même si je connais forcément mieux le mien. Après c’est vrai qu’elle a peut-être quelque chose de plus réaliste dans la façon dont elle est traitée. Par rapport à Lili par exemple, le personnage interprété par Laura (Smet, ndlr) : une jeune fille très fantaisiste, pubère très tôt et dont la beauté met mal à l’aise toute sa famille. Du coup, ils l’exilent en Nouvelle-Calédonie car elle est trop belle… Dit comme ça, cela peut paraître bizarre, mais bon… En fait, plus globalement, je ne vois pas ce film comme un film réaliste. Et je n’ai d’ailleurs pas de goût particulier pour le réalisme. Je cherche une ou des vérités quand je réalise et quand je joue, mais ça ne passe pas par l’étude de la vérité. Après, en cherchant des vérités, on retombe sur la réalité. Dans ce film, il y a autant de vérités chez les trois personnages.

La réalisatrice du film, Katia Lewkowicz, indique qu'avant le tournage vous lui avez dit : "Jurez que vous ne me laisserez pas tricher". Qu’entendiez-vous par là ?
Je ne me souviens pas de lui avoir dit ça ! Mais c’est vrai que j’ai horreur de la triche ! Par exemple, j’avais très peur de la scène où mon personnage a des contractions. Comment jouer ça sans que ce soit une singerie et que ce soit insupportable pour le spectateur ? Jouer la très grande douleur physique quand on n’a pas très très mal, et que l’on n’a pas été étudié deux ans à New York la mémoire sensorielle, c’est compliqué ! 

Vous commencez à avoir une belle filmographie. À quel moment avez-vous eu envie de faire actrice. Puis quand vous êtes-vous décidée à le devenir ?
Sans coquetterie aucune, je ne considère pas que c’est mon métier. Même si j’ai joué dans de nombreux films. Je n’arrive pas à le considérer comme tel. Je viens du scénario, de la réalisation. Je ne joue que depuis 12-13 ans. Il y a des comédiens, comme Isabelle Carré avec qui je viens de tourner, qui sont sur les planches depuis l’âge de 17 ans. Et puis, je n’ai pas fait de théâtre, ni de formation de comédienne. Je vous dis aussi peut-être cela car la vie d’acteur peut avoir, en dehors des moments de jeu, quelque chose de très inquiétant pour moi. 

Concrètement, cela signifie quoi ?
"Inquiétant" dans le sens de se sentir dépendant des autres. Ça se joue sur le désir des autres que l’on ne peut pas comprendre. 

"Certains films m’ont sauvé la vie"

Et si je vous demande donc alors quel métier vous faites, vous me dîtes ?
(Elle balbutie ses mots…) En fait, je ne sais pas dire "je suis cela". Donc je vais vous dire que j’essaie de faire des films comme réalisatrice, je coécris des scénarios et je fais l’actrice. 

On vous sent très à l’aise devant la caméra pourtant !
Ah mais j’adore jouer ! C’est un plaisir inouï ! Quand ça ne joue pas en revanche...

Donc vous jouez dans Camille redouble, sorti en septembre 2012, parce que vous êtes aussi réalisatrice ?
Au début, quand on écrit avec Florence Seyvos, et même plusieurs mois après, il n’était pas prévu que ce soit moi qui joue Camille. C’est Jean-Louis Livi, l’un des producteurs, qui voulait dès départ que je joue ce rôle. Je lui ai dit non. Je n’allais me proposer le rôle et avoir du désir pour moi-même… Mais j’ai fini par passer des essais où je n’étais pas bonne du tout. Il en convenait d’ailleurs ! Mais il continuait à être persuadé que ça devait être moi. Et comme je sentais que je prenais beaucoup de plaisir à jouer, j’ai craqué. Lorsque l’on fait l’actrice, nous avons besoin d’être prises dans le besoin de quelqu’un. Là, c’était le producteur. 

Quand avez-vous eu la révélation réalisation ?
Très tôt, en tant que spectatrice de cinéma. J’ai senti très vite que j’avais besoin de cinéma. Même si je ne savais pas ce que c’était de fabriquer un film, et que je ne connaissais personne dans le cinéma. J’étais amoureuse de certains films, certains cinéastes, et puis je savais que certains films m’aidaient à vivre. Ça faire un peu joueuse de violon de dire ça, mais ça m’a sauvé la vie. Des films très importants. Les films de François Truffaut, Roberto Rossellini, Jean Renoir… J’avais alors 10-11 ans. Mais encore plus tôt, il y avait les films des Marx Brothers. Et lorsque j’ai commencé à approcher le plateau de cinéma en faisant de la figuration dans un court-métrage, je me suis dit que je voulais participer à la fabrication des films. La suite, ce sont des rencontres déterminantes. 

Comme celle avec Arnaud Desplechin par exemple ?
Évidemment. Il est toujours déterminant, plus de 30 ans après l’avoir rencontré. Tous les jours je me dis que j’ai eu de la chance de parler avec lui, d’aimer le cinéma avec lui, de le voir au travail… Il y a Jean Douchet aussi, qui était mon prof à la Fémis, il m’a formé le regard. Et puis des rencontres avec des gens qui sont devenus mes collaborateurs et avec qui je suis devenu collaboratrice. Comme Valéria Bruni Tedeschi. Nous nous sommes rencontrées jeunes, avons fait mon premier court-métrage ensemble, puis mon premier long métrage, puis des films ensemble… J’ai écrit pour elle quand elle a réalisé, j’ai joué pour elle…

Revenons sur Camille Redouble. Si je vous dis que ce film a créé un nouveau statut aux yeux du grand public qui a enfin su mettre un nom sur ce second rôle qu’il reconnaissait sans pouvoir l’identifier… ?
C’est ça oui. J’ai senti la différence, en tant qu’actrice. Et la raison est toute bête : c’est la première fois que je jouais un premier rôle. Je tenais le film sur mes épaules. 

Encore fallait-il qu’il soit bien ce film pour que l’on se souvienne bien de vous…
Non, il n’avait pas besoin d’être bon pour que l’on se souvienne un peu plus de moi.

"Le festival de New York me faisait rêver bien plus que celui de Cannes"

Ce – bon – film a réalisé près d’un million d’entrées en France. A-t-il connu le même succès à l’étranger ?
C’est difficile de dire ça, mais en tout cas, j’ai beaucoup voyagé avec ce film. C’était génial ! Épuisant, mais super. On arrivait le matin dans un pays pour repartir le lendemain. J’ai fait une douzaine de pays. J’ai par exemple été pour la première fois en Afrique du Nord à Alger. C’était très émouvant, d’autant plus que ce fut à la cinémathèque d’Alger, un lieu mythique. Je suis allée à San Francisco, et à New York aussi. Quelle fierté pour moi ! Depuis que je suis jeune étudiante en cinéma, à l’âge de 22 ans, le festival de New York me faisait rêver, bien plus que celui de Cannes. Et je l’ai fait ! C’est la classe internationale ! (rires) Je suis également allée en Allemagne, Italie, Suisse… 

La réalisatrice française que vous êtes a bien été accueillie ?
Très bien oui, et reconnue comme telle. Après, de la à dire qu’il y a un charme à la française... Je suis française, c’est sûr. D’autant que je ne parle pas couramment anglais, je répondais donc aux interviews en français sinon je loupais trop de nuances. Mais, surtout, ce qui m’a frappé lorsque j’étais en Italie, Allemagne, Suisse, Angleterre, est que le cinéma français avait une chance par rapport aux autres cinémas européens, dans la possibilité de faire des films. La France, pour le cinéma, est moins sinistrée que l’Italie ou que l’a été l’Allemagne il y a 10-15 ans. Nous avons un système en France qui permet à des films de se faire et qui protège le cinéma hexagonal. Comme le CNC, le système de fonds de soutien, l’avance sur recette… C’est Malraux qui a inventé tout ça, je crois (en 1959 concernant l’avance sur recette, ndlr).

Ce qui est étonnant est que l’on parle plus souvent des problèmes des intermittents...
Tout simplement parce que la situation est dure et précaire pour beaucoup. C’est un système qu’il faut défendre pied à pied. Et à chaque fois qu’il est attaqué, il faut le défendre. C’est pour cela que l’on voit des intermittents mécontents à la cérémonie des César. Heureusement qu’ils sont vigilants et qu’il ne se laissent pas bouffer leur statut. Et je les soutiens. Je suis intermittente aussi, plus chanceuse que beaucoup certes. Après, et je n’en suis pas fière, je ne milite pas assez, mais comme dirait Jean-Pierre Léaud dans les 400 coups : "j’ai des amis qui militent !" (rires). Le manque de temps n’est pas une excuse. Je crois que les raisons de mon manque de militantisme concernent mon psychanalyste !  (rires)

Au terme de cette interview, notre impression se confirme : vous êtes une dinguerie douce. Cela vous convient?
La douceur oui, mais j’ai envie de vous dire de vous méfier ! La dinguerie, je n’en ai pas conscience. Après, je vais enfoncer des portes ouvertes, mais on est tout à la fois (Elle se met à rigoler fortement) Je rigole mais je vais vous dire pourquoi. Un jour, je suis interviewée par une journaliste beaucoup moins intéressante que vous, qui me demande de me définir. Or, je trouve ça épouvantable de devoir faire ça. Je lui ai dit "Non, je n’ai à parler de moi, je n’aime pas ça". Et le titre de l’article devient "Je n’aime pas parler de moi"! J’ai des amis proches, pas du tout connus, ni du métier cinéma qui étaient pétés de rire en voyant cette accroche. La vanne dure depuis trois ans. Donc ne mettez pas ce genre de titre ! Tout ce que je vous dis n’est pas une posture. Dès que je dois dire "je suis", je déteste ça. J’arrive à dire "je suis une femme" mais il m’a fallu du temps ! 

Le verbe "être" vous pose donc problème…
Clairement. Je me souviens d’un film de Serge Daney, un immense penseur du cinéma qui travaillait pour Libération, que j’ai vu il y a 25 ans. La commande du film était le racisme. Or, il ne parlait que de la télévision. Je ne voyais donc pas le rapport. Lui disait : "à la télévision, il faut arriver comme si on était chez soi, parler comme à la maison, aller vite, et pouvoir dire qui on est et décliner son identité. Et là commence le racisme, l’obligation de se définir. On devrait avoir le droit de pas savoir qui on est". Bon, je ne la raconte pas très bien cette histoire, mais c’était lumineux ! C’est sûrement pour cette raison là que je n’aime pas me définir. Ça oblige à ne pas être tout le reste en fait. Alors qu’on est tout le reste en fait aussi.


Tiens-toi droite
film de Katia Lewkowicz
avec Laura Smet, Noémie Lvovsky, Marina Foïs…

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