Rochefort-en-Yvelines - Musique, concert, interview

OqueStrada : un regard tourné vers l'Atlantique

Stephane de Langenhagen - 8 mai 1945
Européens convaincus, nourris au fado et au ska, les Franco-Portugais d'OqueStrada délaissent les faubourgs de Lisbonne pour les rivages de l'océan. Retour sur "AtlanticBeat mad'in Portugal", leur nouvel album, vainqueur du prestigieux prix José Afonso 2014 et sur 15 ans de scènes musclées.

Les musiciens d'OqueStrada sur scène à Rochefort-en-Yvelines, avril 2015 - Photo : Claudia Damasio


Micmag : Votre nouvel album AtlanticBeat mad'in Portugal, à l’image de sa pochette, est tourné vers l’Atlantique. TascaBeat o sonho (le rêve) português, le précédent, était plus centré sur Lisbonne et le Portugal. Pourquoi cette évolution ? 

Marta Miranda (chant) / OqueStradaTascaBeat était un disque plus « rivière », situé entre les banlieues de Lisbonne et le centre-ville. Il a été conçu dans un territoire du Portugal où toutes les cultures avaient besoin de se parler. AtlanticBeat mad'in Portugal est une folie fabriquée (mad/made) à l’endroit où le Taje bifurque vers la mer. C’est un album tourné vers l’Europe. C’est comme si tu ouvrais une fenêtre pour que l’Europe respire un peu d’air de l’Atlantique.

Micmag : Pour beaucoup, cette Europe dont vous vous revendiquez est devenue synonyme d’austérité, de crise, de mesures imposées. Le Portugal en souffre. Quelle est votre position ?

Marta Miranda / OqueStrada : Ce n’est pas l’Europe qui est responsable, mais le système financier. Il faut séparer la finance de la culture européenne, qui doit s’assumer et se retrouver à travers les différents peuples et les pays qui la composent. Je crois beaucoup à l’Europe et aux intérêts européens; pas aux intérêts financiers.

Pablo (basse balai-baquet) / OqueStrada : Notre nouveau travail est beaucoup plus ouvert. C’est le reflet de notre parcours après la sortie du premier album et les nombreuses tournées en Allemagne, en Espagne, en France, en Pologne et en Slovénie, qui ont suivi. Notre Europe est une Europe de dialogues, de rencontres et d’échanges.

Marta Miranda / OqueStrada : Nous sommes un groupe avec des compositions européennes originales : c’est la raison pour laquelle nous avons même été invités pour la soirée de gala de remise du prix Nobel de la Paix à Oslo en 2012 !

Micmag : La dimension européenne est-elle présente dans le groupe depuis son origine ?

Marta Miranda / OqueStrada : Oui. J’ai toujours pensé que le Portugal devait s’ouvrir sur l’Europe ainsi que sur le Brésil. Nous étions trop fermés pendant toutes ces années et nous le payons cher. Le fado atlantique est comme une brise sur notre musique.

Le symbole du Brésil tropical c'est une Portugaise

Micmag : De l’autre côté de l’Atlantique, il y a la Jamaïque. Le Ska est un rythme très présent dans vos musiques. D’où vient cet amour immodéré pour les « rude boys » ?

Pablo / OqueStrada : Je suis Français et je viens de la banlieue parisienne. J’ai émigré, j’ai fait la route dans l’autre sens. Ma culture est liée aux mouvements alternatifs, punk et rock’n’roll, puis rap. C’est tout ça le « rude boy ».

Marta Miranda / OqueStrada : Moi j’étais plus liée au fado ancien et aux chanteurs classiques comme Jacques Brel, Édith Piaf ou Amália Rodrigues. C’est Pablo qui m’a fait découvrir ce style de musiques. À Lisbonne, il y a toujours une cave musicale où jouer du fado, du jazz manouche et toutes les rencontres sont possibles, par exemple avec le punk. OqueStrada, c’est finalement beaucoup de clins d’œil à une mémoire collective européenne. Certaines de nos chansons sont aussi très connectées avec le Brésil, comme Prometo não (je ne promets pas).

Micmag : Cette chanson Prometo não décrit le Brésil sur un mode onirique. Que symbolise le Brésil pour vous ?

Pablo / OqueStrada : C’est loin ! Nous n’avons pas encore eu l’occasion, hélas, d’aller là-bas. C’est surtout une histoire d’agent, de marché et de manque de connexions.

Marta Miranda / OqueStrada : Nous avons grandi avec le Brésil à travers les disques et la télé. Le Brésil a ouvert la langue portugaise. Le Portugais est quelqu'un de très replié sur le Portugal alors que le Brésilien est capable de réinventer sa langue. Quant à la musique brésilienne, c’est une référence très importante. Rappelons pour tous ceux qui l’ont oublié que c’est une Portugaise, Carmen Miranda, qui est devenue le symbole du Brésil tropical! 

Micmag : Les allers et retours entre Brésil et Portugal n’ont pourtant jamais été aussi importants. Que pensez-vous de tous ces mouvements migratoires entre les deux pays ?

Marta Miranda / OqueStrada : Aujourd’hui, les émigrés partent dans une situation de désespoir. Pour les artistes, excepté pour quelques fadistes, aller au Brésil est compliqué. Contrairement aux années 19030/1940, où de nombreux artistes portugais partaient au Brésil pour s’y produire.

Micmag : Jouer au Brésil fait-il partie de vos projets ?

Marta Miranda / OqueStrada : Nous espérons y aller un jour : on nous écoute au Brésil ! Parmi notre public au Portugal, il y a beaucoup de Brésiliens. Mais pour se produire au Brésil et pouvoir rivaliser avec la musique brésilienne, il faut avoir une sonorité.

Notre Sainte-Trinité : Variações, Pessoa et Amália Rodrigues 

Micmag : De l’autre côté de l’atlantique, il y a New York, une ville chère à Antonio Variações, chanteur culte des années 1980 au Portugal. Pour votre nouvel album, vous avez enregistré Parei na madrugada (je me suis arrêté à l'aube), un morceau de lui, inédit. Pourquoi ce choix ?

Marta Miranda / OqueStrada : Antonio Variações a beaucoup marqué ma génération. Comme Amália Rodrigues, il a ouvert des portes dans un pays religieux et très conservateur. Sur l'album, nous l'avons réuni avec le poète Fernando Pessoa et la chanteuse Amália Rodrigues au sein d'une trilogie : la Santíssima Trindade (la Très Sainte-Trinité). 

Micmag : Pourquoi employez-vous ce terme de Très Sainte-Trinité à leur égard ?

Marta Miranda / OqueStrada : Pessoa, Amália et Variações représentaient dans les années 1980 une certaine liberté portugaise, très atlantique, qui ne s’est jamais vraiment développée. Au Portugal, les mentalités ont peu évolué. C'est encore un pays fermé, ce n’est pas un pays libre.

Micmag : Antonio Variações était lui-même très influencé par Fernando Pessoa et par Amália Rodrigues. Ils sont incontournables au Portugal ?

Marta Miranda / OqueStrada : Leur sang coulent dans les veines de tous les Portugais plus ou moins éveillés,  et même dans celles de Pablo !

Pablo / OqueStrada : J’ai découvert Amália Rodrigues et Antonio Variações au Portugal, et j’ai absorbé tout leur héritage, leurs paroles, leurs attitudes. C’est rare de retrouver aujourd’hui des artistes aussi ouverts et sans préjugés. En étant contre les a priori, ils ont donné au monde une autre image du Portugal.

Micmag : Quelles sont vos autres influences ?

Marta Miranda / OqueStrada : Ma mère, mon père, ma famille, mes amis, tous les Portugais que j’ai connus m’ont inspirée. OqueStrada c'est une façon de voir la musique et d'en faire. C’est notre grande bataille, notre urgence : faire découvrir au public des sonorités et des propos différents.

Pablo / OqueStrada : À force d’endurance, nous avons imposé notre façon d’être dans la musique. Le public nous a toujours portés. C’est grâce à lui que nous sommes encore là. Pendant sept ans, avant d’enregistrer notre premier disque, nous avons ouvert, à travers le Portugal, un réseau musical inédit.

Marta Miranda / OqueStrada : Nous ne sommes pas des musiciens académiques. Nous venons du spectacle vivant. Cela se ressent dans notre style et notre façon de faire de la musique. Nous avons abordé les sonorités musicales avec notre manière de penser la dramaturgie du spectacle. Nous avons trouvé une autre méthodologie pour nos chansons que celle du "couplet/refrain". Chaque musicien qui rentre dans OqueStrada doit revoir sa façon d'appréhender son instrument.

Pleurer n'est pas une fatalité pour les Portugais

Micmag : Vous arrive-t-il de jouer avec d'autres musiciens ?

Marta Miranda / OqueStrada : Pour ce disque, nous travaillons à trois : Pablo, Lima (le guitariste) et moi. C’est le noyau d’OqueStrada, Mais nous ne sommes pas bloqués sur ce groupe, nous invitons toujours d’autres musiciens à nous rejoindre. Nous partons sur une idée, puis nous recherchons celui ou celle qui peut nous apporter la meilleure connexion musicale. L’équipe doit être bien musclée car nous demandons à chaque musicien beaucoup de précision. C’est un travail très physique : pas question de se cacher derrière son instrument.

Miclmag : Vous avez remporté le prix José Afonso 2014 du meilleur album de musique portugaise. Que représente pour vous ce prix ?

Pablo / OqueStrada : C’est la reconnaissance importante de 15 ans de travail au Portugal et en Europe.

Marta Miranda / OqueStrada : Ce prix est la reconnaissance de notre pays. OqueStrada est devenu une référence alors qu’auparavant, nous étions plutôt considérés comme marginaux. Le grand public ne comprenait pas notre musique. Nous avons influencé une génération de jeunes musiciens à qui nous avons montré qu’il était possible de faire quelque chose de différent.

Au Portugal, nous avons enfin acquis la légitimité que nous avions déjà à l’étranger en étant les premiers Portugais à nous présenter dans certains festivals complètement fermés au fado et aux ballades. Nous avons choisi un Portugal plus rythmé. Notre travail est une « mélancolie athlétique » : il est possible de pleurer et de danser en même temps. Pleurer n’est pas une fatalité pour les Portugais et nous jouons avec ce cliché : « Viens faire un workshop pour apprendre à pleurer ».


Propos recueillis par Stephane de Langenhagen pour www.micmag.net


« Atlantic beat made in Portugal » : OueStrada. Un CD Jaro distribué par l'Autre Distribution

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