04-08-2011 19:47:10

Jerho (musicien) : "L'avenir est à la multiculture"

S’il est un artiste qui a bien illustré le Festival du Bout du Monde (5 au 7 août) sur la presqu’île de Crozon, c’est Jehro. Ce français qui chante en anglais et en espagnol est un troubadour moderne qui a tracé sa route entre squats et melting-pot.
Interview Iris Sergernt (Paris)


Micmag : comment en es-tu venu à la musique ?

Jerho : mes parents étaient dans le milieu artistique. Mon père était auteur-compositeur-interprète et ma mère, elle était modèle pour des peintres, des photographes, tout ça… voilà un peu l’environnement dans lequel j’ai grandi, avec plein d’amis peintres, comédiens, musiciens…

M : et ton papa auteur-compositeur, dans quel genre de musique était-il ?

Il n’était pas dans ce que je fais, il était plutôt "rive gauche", dans la lignée de gens comme Brassens, Brel, Moustaki, Ferré, plutôt vers la poésie, la chanson française.

M : et à toi, te reste-t-il des choses de ces influences ?

Oui, moi je me sens totalement accueili par l’aventure poétique. J'essaye de faire de la poésie, que ce soit en musique ou en mots. C’est la démarche que j’ai : essayer de créer des petits moments de poésie…

M : et sinon, quelles sont tes autres influences artistiques ?

Je suis plutôt orienté vers les musiques du grand Sud : ça va des musiques africaines à celles d’Amérique du Sud en général. J’aime beaucoup par exemple un composteur argentin qui s’appelle Atahualpa Yupanqui, qui m’a beaucoup inspiré. J’aime aussi la musique des archipels, cubaine, El Son, tout ça… quelque part y’a une sorte de cohérence avec la musique de "bandiste". Je viens de Marseille où j’ai connu la musique populaire, où tu vois les gens chanter dans la rue. Y’a quelque chose de très accessible, les gens chantaient leurs valeurs et moi j’ai des souvenirs de ça… les musiques du Sud, ça me rappelle ce que j’ai vécu quand j’étais gamin. Ça c’est pour la musique. Après, il y a les écrivains, les peintres…

M : dans quelle mesure un peintre  peut-il t’inspirer musicalement ?

Parce que pour moi la littérature, la peinture, la musique… c’est une seule et même terre créative. Une peinture peut être musicale comme une chanson peut être picturale. Dans la musique que je fais, j’aime bien l’idée de pouvoir transporter les gens dans d’autres endroits, vers d’autres couleurs…

M : quand on écoute ton premier album signé Jérôme Cotta, en français, et les deux suivants, on est choqué par le changement de style. Le premier est très "sage", très "propre". Que s’est-t-il passé ?

En fait, j’ai fait deux albums en français mais le deuxième n’est jamais sorti. Il a été jeté à la poubelle par l’industrie musicale. En tout cas, c’est vrai que je n’étais pas satisfait du résultat artistique du premier album. C’était ma première expérience avec le monde de l’industrie de la musique, je n’avais pas beaucoup d’expérience, j’étais naïf et j’ai été un peu orienté, formaté. Ça ne m’a pas beaucoup plu. Donc, j’ai fait un deuxième album en français qui n’était plus du tout formaté, mais ils n’ont pas voulu le sortir.

M : on n’aime pas la spontanéité dans le milieu ?

Bah, disons qu’aujourd’hui, y’a un gros impact de la course au profit sur le monde de la musique. On ne travaille qu’avec des gens qui sont "rentables", donc on est plus dans la logique du développement artistique, de la recherche. Il faut que tu sois rentable tout de suite. Dans mon cas, c’est ce qui a bloqué. Mais bon, c’était une expérience, je n’ai aucun regret là-dessus. Pour moi, ce qui est important, c’est le parcours, ce n’est pas le but : je n'ai pas de but dans la vie, si ce n’est celui de bien vivre. J’ai conscience que j’ai la chance de gagner ma vie par les choses que je crée, en me faisant plaisir et en essayant de faire plaisir aux autres. J’ai conscience d’être un privilégié.

M : j’ai lu qu'à tes 20 ans, tu avais fait un petit "stage" dans un squat londonien. Que retiens-tu de cette expérience ?

J’ai surtout appris à devenir un peu plus autonome et puis à gérer les rapports humains, les relations avec les gens. C’était très bigarré, des gens venaient de tous les coins du monde. On était souvent sans argent, moi y compris, donc y’avait pas mal de solidarité. Ce n’était pas du tout misérabiliste : le fait de ne pas avoir d’argent, ce n’est pas une malédiction si on a un esprit ouvert. On se débrouillait pour certains trucs, surtout qu’on était jeune. On m’a fait voir plein de trucs, j’ai découvert le flamenco, le reggae, des trucs supers. Bien évidemment,  j’ai connu quelques petites galères mais c’était bien moindre que ce que j’y ai gagné.

M : et sur le plan musical ?

Au niveau musical, j’ai été marqué par le mélange des sons. J’ai découvert les musiques anglophones : la musique soul, la funk aussi. Et puis, c’est en Angleterre que j’ai découvert la musique reggae, entre autres Marley, les Sound Système et toute la culture qui allait avec. J’étais assez fasciné quand je suis arrivé là-bas.  Et puis la musique espagnole, parce que j’ai vécu un petit moment dans les squats avec des musiciens de flamenco, et ça, c’était une musique avec une entité très forte. C’est à Londres que j’ai découvert les prémisses de la musique du monde : la musique des Caraïbes, avec des rythmes différents. Je me suis dit que c’était super.  Il y avait cette forme d’expression très riche, multiple, différente… C’est souvent le cas dans les grandes mégapoles. Londres, ville d’immigration : des Pakistanais, des Jamaïcains (y’en avait beaucoup), évidemment des européens, des gens qui venaient des Amériques…

M : tu l’as vécu comment ce melting-pot ?

C’est la vie, quoi ! C’est ce qui fait sa richesse : quand les choses se mélangent et qu’elles arrivent tant bien que mal à fonctionner et à être en mouvement. Enfin, moi je ne vois pas la vie autrement que comme ça. Ça montre de façon assez claire que l’avenir est à la multiculture, dans un mouvement permanent de brassage des cultures, des gens, des connaissances...

M : que penses-tu justement de tout ce débat autour de l’immigration ?

C’est un débat d’arrière-garde. On est dans un truc capitaliste où les gens ont peur pour leurs biens. On essaie de délimiter l’espace. Ce débat,  c’est une façon de bloquer les biens et les frontières aux pauvres. Ça, ça vient aussi du fait que le partage n’est pas équitable entre les peuples, entre les pays. Donc le but du brassage c’est d’essayer de créer une sorte de partage équitable entre les peuples et les cultures. Quand on arrivera à un vrai brassage, on ne se posera plus tous ces problèmes-là. Je vois ce qui se passe à la Puerta del Sol avec les jeunes Espagnols, au Maghreb... Y’a plein de choses qui annoncent que c’est en train de bouger, que rien n’est figé : les dictateurs finissent par tomber, le système capitaliste qu’on connaît aujourd’hui nous amène dans le mur. De toute façon, d’une manière ou d’une autre, ça va changer. Les jeunes générations qui arrivent ont vraiment envie d’autre chose, de rêver à autre chose. Je ne sais pas si c’est le rêve que d’être plein de pognon, au bord d’une plage, bien gras. Le problème chez les humains c’est qu’on use tous de nos petits pouvoirs… Mais bon, je vois qu’on est en train de changer les choses et je trouve ça plutôt bien, c’est plutôt positif.

M : on ressent une certaine mélancolie dans ton premier album en anglais. D’où cela vient-il ?

C’est une mélancolie avec un sourire en coin. J’aime bien certaines formes de tristesse, je trouve que ça porte vers la musique. Se souvenir de certaines choses, comme avoir eu une enfance merveilleuse; d’un regard chaleureux, avec lequel on se sent exister… des choses comme ça, des moments d’amour et de communion. La nostalgie, ça fait partie des états émotionnels que l’on vit et j’aime bien la transformer en musique.  Ce que je n’aime pas, c’est la tristesse lourde. J’aime bien que les chansons que je fais, aient cette forme de nostalgie crépusculaire, avec du soleil derrière, c’est comme ça que je vois la vie.

M : dans "Cantina paradise" si cette mélancolie est toujours présente, on ressent plus de sérénité. Estimes-tu avoir acquis une certaine maturité musicale et humaine ?

Ma démarche est anti paranoïaque : je pars du principe que la vie ne me veut pas de mal. Les choses qu’on vit, qu’on partage, contribuent à te rendre plus confiant, meilleur. Je passe par des étapes dans lesquelles je me sens intérieurement plus réceptif, plus accueillant pour les autres. C’est clair que ma musique résonne avec ça aussi. C’est important pour moi de cultiver un état intérieur qui soit sain. Je pense que l’état intérieur se reflète à l’extérieur. En ce moment je suis plutôt bien.

M : as-tu besoin de te sentir admiré ?

J’aime plutôt l’idée de résonnance, de partage avec les gens, d’avoir l’impression que ma musique me sert à me relier à eux. L’idée d’être admiré, me fascine beaucoup moins, je n’ai pas l’impression que ça mène à grand-chose, si ce n’est à une poussée d’égo. Mais c’est pas avec l’égo qu’on avance. On a besoin d’une certaine forme de courage pour monter sur scène et d’un certain égo mais il faut pas plus que ça. Ce qui m’intéresse, c’est la réalité que je trouve belle et en général, l’égo nous éloigne de ça. Par contre, les gens me disent qu’ils ressentent un truc... ça me donne la confiance pour continuer à faire. J’ai l’impression que mes chansons servent à quelque chose.

M : quand on écoute l’ensemble de tes albums, on sent bien que tu es dans une forme d’exploration musicale. N’as-tu pas peur de perdre le "fan de Jehro" ?

Non, parce que je ne vois pas ma musique comme une entreprise qui fait des produits et qui doit toujours faire la même chose. Je n’ai pas du tout une démarche commerciale mais artistique. J’essaie d’aller faire quelques petites explorations, de me dire "tiens, ça, ça m’a touché, ça aussi…". Je propose. Le côté carriériste, gestionnaire des choses, ce n’est pas du tout ma nature. Après si les gens aiment pas, ce n’est pas grave. Je continuerai à faire d’autres choses.

M : qui est ton producteur ?

Là, je suis retourné sur une major. Avant, j’étais dans un label indépendant mais il a été racheté par Warner. Par répercussion, je me suis retrouvé sous contrat avec Warner.

M : et ça ne te fait pas peur justement d’être happé par une certaine forme de formatage ?

Je me sens bien en moi, centré sur les choses que je fais. Sur le dernier album, ils m’ont fait confiance, donc je n’ai pas eu de pression…même s’il y en a toujours un peu, même avec les labels indépendants. Y’a toujours des gens qui essaient de te proposer des orientations différentes. Pour l’instant, je fais ce qui me touche, ce qui me plaît.

M : j’ai lu que tu avais été choisi pour illustrer les programmes de France 3 cet été. Est-ce que cela change tes perspectives de carrière ?

Ah, bon ? T’es sûre que l’information est confirmée ? J’ai fait des interviews avec certains journalistes qui ont complètement transformé ce que j’avais dit et quand j’ai regardé ça, j’étais en train de me marrer tellement c’était… Mais bon, non, ce n’est pas le cas et si ça l’avait été, ça n’aurait pas changé grand-chose. J’ai une image de "tropicaliste", de musique solaire qui donne un petit goût de vacances. Les gens qui écoutent mes chansons et qui les aiment peuvent y voir des choses un peu plus profondes que celles-là, mais c’est la première image que l’on donne de mon travail.

M : qu’est-ce que tu veux transmettre avec ta musique, ton son ?

J’espère que c’est une musique qui fait du bien, qui ajoute des plaisirs aux instants. Pour moi, il doit y avoir quelque chose de médicinal dans la musique, ça doit provoquer une sorte d’apaisement, donner envie de vivre, de participer au mouvement des choses. Si ma musique arrive à faire ça, c’est super. Et puis évidemment, réussir à faire réfléchir sur certaines choses. Moi, y’a par exemple une période de ma vie où ça n’allait pas très bien, et un album de Cesaria Evora m’a permis de voir ma situation avec un peu plus de recul…

M : es-tu un artiste de scène ? que représente ton public ?

La scène, c’est un moment de vérité, un vrai beau moment de partage, surtout quand ça se passe super bien. Pour l’instant, mon public est super, donc à chaque fois qu’on joue, ça fait plaisir de partager ça avec les gens. C’est vrai que c’est aussi un moment de vérité, il y a quelque chose dans la scène qui est plus intense, parce qu’on a tout de suite le retour de ce qu’on fait. Y’a vraiment un échange d’énergies. On voit la tonalité des énergies qu’on envoie et qu’on reçoit. J’aime la scène, je ne sais pas si je suis vraiment un artiste de scène mais en tout cas, j’aime ça.

M : vous êtes combien dans ta formation ?

Six : un batteur-percussionniste, un clavier, un bruiteur (qui fait les ambiances), un guitariste, un choriste et moi.


 

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