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Les écrivains et la peine de mort

Marie Torres - 27 septembre 2021
Ecrivains, philosophes, ils ont été nombreux à écrire et à débattre sur la peine capitale. Sur son abolition. De Voltaire à Camus en passant par Hugo, découvrez, à travers leurs écrits, le combat de certains d'entre eux.

C'est au XVIIIème siècle, le temps des Lumières, qu'on a vu de nombreux écrivains débattre sur la peine capitale. Le philosophe Italien Cesare Beccaria, Montesquieu et bien sûr, Voltaire qui, dans son Traité sur la Tolérance et se référant à l'affaire Calas, écrit

« [...] ceux qui meurent par le sort des armes pouvaient aussi donner la mort à leurs ennemis, et n'ont point péri sans se défendre. [...] mais si un père de famille innocent est livré aux mains de l'erreur, ou de la passion, ou du fanatisme ; si l'accusé n'a de défense que sa vertu ; si les arbitres de sa vie n'ont à risquer en l'égorgeant que de se tromper ; s'ils peuvent tuer impunément par un arrêt, alors le cri publique s'élève, chacun craint pour soi-même [...] toutes les voix se réunissent pour demander vengeance

Et, parmi tous ces partisans de l'abolition, il en est un qui a mené un rude combat à la peine de mort, Victor Hugo. Tout jeune il voit un condamné conduit à l'échafaud à Burgos, en Espagne ; à Paris, Place de Grève, il verra un bourreau préparer sa guillotine. Des scènes qui le marqueront à jamais. Plus tard, iI utilisera sa notoriété d'écrivain, son statut d'homme politique et sa grande éloquence pour convaincre ses contemporains, par ses écrits et ses discours, de l'horreur de ce « meurtre judiciaire ». Dans son dernier ouvrage, Le dernier jour d'un condamné, il nous fait vivre les derniers jours d'un innocent condamné à la peine capitale. Un véritable réquisitoire contre la peine de mort.

.... il est condamné à mort et n'est gracié qu'à la dernière minute

« Oh ! est-il bien vrai que je vais mourir avant la fin du jour ? Est-il bien vrai que c'est moi ? Ce bruit sourd de cris que j'entends au-dehors, ce flot de peuple joyeux qui déjà se hâte sur les quais, ces gendarmes qui s'apprêtent dans leurs casernes, ce prêtre en robe noir, cet autre homme aux mains rouges, c'est pour moi ! c'est moi qui vais mourir ! moi, le même qui est ici, qui vit, qui se meut, qui respire, qui est assis à cette table, laquelle ressemble à une autre table, et pourrait aussi bien être ailleurs ; moi , enfin, ce moi que je touche et que je sens, et dont le vêtement fait les plis que voilà !

Mais, s'il est un écrivain, un homme, qui peut, mieux qu'un autre, s'exprimer sur la peine de mort c'est bien Fédor Dostoïevski. En effet, arrêté pour avoir fréquenté un cercle d'intellectuels socialistes, il est condamné à mort et n'est gracié qu'à la dernière minute. Voici la lettre qu'il écrit à son frère, Mikhail, le jour même de sa grâce.

« Aujourd'hui, 22 décembre (1849), on nous a transportés sur la place Semenovski. Là, on nous a lu à tous notre condamnation à mort, on nous a fait baiser la croix, on a brisé nos épées au-dessus de nos têtes et on a procédé à notre toilette mortuaire (longues chemises blanches). Puis, trois d'entre nous ont été attachés au poteau, pour l'exécution de la peine. J'étais le troisième, on nous appelait par trois, par conséquent j'étais de la deuxième fournée, il ne me restait pas plus d'une minute à vivre. J'ai pensé à toi, frère, à tous les tiens ; à l'instant ultime, toi, toi seul, était dans mes pensées, c'est là seulement que j'ai su combien je t'aimais, mon frère chéri ! [...] Enfin, roulement de tambour, on ramène vers nous ceux qui étaient au poteau, et on nous lit que Sa Majesté impériale nous accorde la vie.»  

Et c'est par l'intermédiaire du Prince Michkyne, le héros de son roman L'Idiot, que Dostoïevski exprime ses sentiments.

Quand on met à mort un meurtrier, la peine est incommensurablement plus grave que le crime

«  Quand on met à mort un meurtrier, la peine est incommensurablement plus grave que le crime. Le meurtre juridique est infiniment plus atroce que l'assassinat. [...] en lui donnant la certitude de l'issue fatale, on enlève au supplicié cet espoir qui rend la mort dix fois plus tolérable. Il y a une sentence, et le fait qu'on ne saurait y échapper constitue une telle torture qu'il n'en existe pas de plus affreuse au monde. [...] Peut-être existe t-il de par le monde un homme auquel on a lu sa condamnation, de manière à lui imposer cette torture, pour lui dire ensuite : « Va, tu es gracié ! Cet homme-là pourrait peut-être raconter ce qu'il a ressenti. C'est de ce tourment que le Christ a parlé. Non! on n'a pas le droit de traiter ainsi la personne humaine.»

Et on ne peut pas ne pas citer Albert Camus qui, très tôt, a pris une position forte contre la peine de mort. Dans Reflexions sur la guillotine, il raconte que son père, qui venait d'assister à l'exécution d'un homme qui avait massacré une famille de fermiers et ses enfants, fut prit de terribles vomissements à son retour au domicile. « Il venait de découvrir la réalité qui se cachait sous les grandes formules dont on la masquait. Au lieu de penser aux enfants massacrés, il ne pouvait plus penser qu'à ce corps pentelant qu'on venait de jeter sur une planche pour lui couper le cou

Et c'est Robert Badinter, en 1981, qui, en bon successeur de Victor Hugo, fait voter l'abolition de la peine de mort. « La peine de mort est contraire à ce que l’humanité depuis deux mille ans a pensé de plus haut et rêve de plus noble. Elle est contraire à la fois à l’esprit du christianisme et à l’esprit de la Révolution. »

Lire aussi : La peine de mort dans tous ses Etats

Marie Torres pour www.micmag.net
Traité sur la tolérance - Voltaire - Ed Folio, 2 euros
Le dernier jour d'un condamné - Victor Hugo - Ed. Folio, 3 euros
L'idiot - Fédor Dostoïevski - Ed. Gallimard, 10,90 euros
Correspondance, tome 1 : 1832-1864 - Dostoïevski - Ed. Christian de Bartillat, 54 euros
Réflexions sur la guillotine - Ed. Gallimard, 6,90 euros

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