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Oscar Wilde, l’ami scandaleux

Marie Torres - 18 octobre 2016
Entre Oscar Wilde et Paris, c’est une longue histoire qui débute en 1874, alors qu’il n’a même pas 20 ans, et s’achève avec sa mort, le 30 novembre 1900. Grandeur, amitiés, décadence, rejet… Danielle Guérin, vice-présidente de la Société Oscar Wilde nous raconte…
Danielle Guérin au Petit Palais - Photo David-Charles Rose

Comme tous les passionnés, Danielle Guérin rêvait de partager et de transmettre son intérêt pour la vie et l’œuvre d’Oscar Wilde.  En 2008, avec son mari, David-Charles Rose et deux amis, Lou Ferreira et Emmanuel Vernadakis, ils fondent la Société Oscar Wilde. Depuis, elle publie, en ligne, une revue trimestrielle, Rue des Beaux-Arts, consacrée à l’actualité wildienne et organise des rencontres ponctuelles, des événements tels les « Wilde days’s in Paris » … Alors, qui mieux qu’elle pour nous accompagner sur les traces – parisiennes – du fabuleux Irlandais…

Micmag.net : Oscar Wilde est à l’affiche du Petit Palais jusqu’au 15 janvier 2017. Paris, une ville qu’il affectionnait…

Danielle Guérin : Oui, Wilde était francophone et francophile et a entretenu une relation très forte avec Paris. Lors de son premier séjour dans la capitale, avec sa mère et son frère, il a dix-neuf ans. La famille s’installe à l’hôtel Voltaire où Wilde revient presque dix ans plus tard, en 1883, la tête pleine de rêves.

M. : Qu’espère-t-il de la capitale ?

D.G. : Il veut forcer les portes du cénacle littéraire parisien et y être adoubé. Avant de quitter Londres, il prépare le terrain, par un envoi tous azimuts d’un exemplaire dédicacé de ses Poèmes. Et il arrive bardé de lettres de recommandations.

M. : Est-il connu à Paris ?

D.G. : Oui même si, à près de vingt-huit ans, il n’a pratiquement rien écrit, sa tournée de conférences américaine lui a forgé un nom des deux côtés de l’Atlantique, et les invitations ne tardent pas à pleuvoir. On ne voit plus que lui dans les lieux à la mode et les dîners en ville où il croise Henri de Toulouse Lautrec, Edgar Degas, Camille Pissarro. Maurice Barrès, Anatole France, Henri de Régnier… Il visite même Victor Hugo, qui s’endort en sa présence ! On peut dire que durant les nombreux séjours qu’il a faits dans la capitale, de 1874 à 1900, il côtoie les personnalités les plus en vue de l’époque, en particulier Sarah Bernhard, à laquelle il rêve de faire jouer sa pièce  Salomé, écrite en français, et même le jeune Marcel Proust.

M. : Quels liens entretient-il avec elles ?

D.G. : Wilde ne fait pas l’unanimité, loin de là. Degas déclare lui trouver « l’air de jouer Lord Byron dans un théâtre de banlieue », Edmond de Goncourt le décrit dans son journal comme « un individu au sexe douteux, au langage cabotin et aux récits blagueurs ». Mais il se lie avec certains écrivains, en particulier avec Marcel Schwob et Pierre Louÿs, par exemple, pour lequel il ressent une amitié très vive et réciproque. Mais Louÿs, qui dans les premiers temps ne soupçonne rien de la vie secrète et dissolue de Wilde - qui a rencontré Alfred Douglas quelques mois plus tôt - ne sera pas dupe très longtemps et ce qu’il découvrira est trop choquant pour un hétérosexuel tel que lui, pour ne pas aboutir à une rupture. Wilde restera très sensible à cet abandon mais lui gardera toujours son estime.

M. : Il est aussi proche d’André Gide ?

D.G. : C’est Pierre Louÿs qui organise la rencontre, en priant Wilde à dîner en leur compagnie. Le repas se déroule le 29 novembre 1891, place de la Sorbonne, au Café Harcourt. A la fin du repas, Wilde raccompagne Gide en lui contant la légende de Narcisse. Sa narration brillante laisse Gide ébloui. Pendant trois semaines, ils se revoient chaque jour. Gide est dans un état de possession et d’extase amoureuse, dont témoigne le mot « Wilde » jeté seul, en lettres capitales, en travers des pages de son journal, en date des 11 et 12 décembre suivants.

M. : Et du côté de Wilde ?

D.G. : Gide a reçu une éducation puritaine qui l’a marqué et Wilde préfère la liberté d’esprit de Louÿs mais Gide l’intéresse par son intelligence et sa culture, et parce qu’il a décelé en lui, sous l’armure lisse, la soif inassouvie de la jouissance, le frémissement du pêché. « Je veux vous apprendre à mentir, pour que vos lèvres deviennent belles et tordues comme celles d’un masque antique » lui dira-t-il.

M. : Et Gide lui en voudra de réveiller « ce feu » caché ?

D.G. : Oui car si Gide est fasciné, il est aussi déconcerté. « Wilde ne m’a fait, je crois, que du mal. Avec lui, j’avais désappris de penser. »* écrit-il. C’est au Maroc, en lisant la presse, qu’il apprendra la mort de cet ami scandaleux qui lui a révélé le « goût furieux de la vie ». Un an plus tard, il écrira un court ouvrage, Oscar Wilde, In Memoriam, et s’il n’est pas toujours très tendre il reconnaîtra plus tard une sévérité injustifiée, tant pour l’homme que pour l’auteur.

M. : Après son emprisonnement, en Angleterre, pour homosexualité, Wilde revient à Paris. Quel a été son accueil ?

D.G. : Si quelques voix s’élèvent pour prendre sa défense après sa condamnation comme celle d’Octave Mirbeau ; si en décembre 1895, dans la Plume, le poète symboliste, Stuart Merrill et Léon Deschamps, fondateur de la revue, tentent de lancer une pétition demandant, en vain, sa grâce, durant sa longue chute vers le vide, la plupart de ses anciens amis français l’ont évité. Pendant ses dernières années parisiennes, Gide ne le revoit que deux fois. Quand, l’apercevant du café où il est assis, Wilde l’appelle pour qu’il le rejoigne à sa table, il s’assied de dos pour ne pas être reconnu des passants. Remarquant son manège, Wilde lui en fait tristement le reproche : « Quand jadis je rencontrais Verlaine, je ne rougissais pas de lui […] je sentais que d’être vu près de lui m’honorait, quand même Verlaine était ivre. ». Et, lors de leur seconde entrevue, Wilde aura cette phrase déchirante qui – dira Albert Camus ** – « donne envie de l’avoir encore parmi nous » : « Il ne faut pas en vouloir à quelqu’un qui a été frappé. »

Wilde s’éteindra dans l’anonymat, le 30 novembre 1900, dans une modeste chambre de l’hôtel d’Alsace, 13, rue des Beaux-Arts.

M. : Vous avez visité, avec quelques membres de votre Société, l’exposition « Wilde, l’impertinent absolu », qu’en avez-vous pensé ?

D.G. : Nous étions une quinzaine de la Société à nous retrouver pour la visite. L'exposition est très intéressante, mais trop courte à mon avis. On sort un peu frustrés. J’en aurais sans doute souhaité plus sur la dernière partie de la vie d'Oscar Wilde, celle, justement, qu'il a passée à Paris. Mais je crois que, quand on aime Oscar, on devient insatiable ! Et c'est déjà magnifique que Paris lui rende cet hommage, lui qui y termina sa vie dans la solitude et dans la gêne. Quelle revanche ! Londres lui avait dédié deux belles expositions pour le centenaire de sa mort, et Paris, une ville qu’il a tant aimée, se devait, de le commémorer à son tour. C’est chose faite pour notre plus grand plaisir.

* Journal d’André Gide – 1er janvier 1892

** Albert Camus, L’Artiste en prison – Introduction à La Ballade de la geôle Reading, Falaize, 1952.

A lire aussi :

Sur les traces parisiennes d'Oscar Wilde

Marie Torres pour www.micmag.fr
Oscar Wilde, Qui suis-je ?
Danielle Guérin-Rose
Editions Pardès, 2014
12 euros
1
  • Quelques membres de la Sté Oscar Wilde au Petit Palais - Photo Christine Calais

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