Mali - Bamako - Portraits

Malick Sidibé, le cliché nostalgique du Mali !

Monique Cabré pour Micmag - 3 juillet 2012
Né à Soloba au Mali en 1936, Malick Sidibé est devenu au fil des années un artiste majeur de la photographie africaine, reconnu par-delà les frontières de son pays.

Une rencontre Micmag à Bamako.

Le rencontrer est un honneur et un plaisir savoureux tant il raconte avec un sourire qui ne le quitte pas et une bonne humeur jamais altérée, son parcours. Assis à sa petite table peinte d’un vert vif, sur le pas de la porte de son studio, Malick ne perd pas une miette de l’agitation qui l’entoure.  

D’un œil qui frise, il regarde passer les belles femmes de Bamako

Il continue de s’extasier sur cette jeunesse qui certes a changé, mais qui continue de le séduire. « Moi je venais de la brousse, j’étais très étonné de voir tous ces vélos…j’ai pensé, ça c’est autre chose ! ».

 

De la brousse à la capitale

 

Fils de paysans, des problèmes de vue l’éloignent des travaux de la terre auxquels il était destiné pour le conduire à Bougouni, à 160 km au sud de Bamako, où il effectue sa scolarité. Remarqué pour ses talents de dessinateur, il fréquente à partir de 1951 l’Ecole des Artisans Soudanais où il se spécialise dans la bijouterie. « Quand je rentrais au village, ma chambre était pleine de gens qui voulaient que je les dessine, ce n’était pas encore la photo ». En 1955, ses études terminées, il rencontre Gérard Guillat, surnommé Gégé la pellicule. Celui-ci lui demande de décorer la devanture de son studio de photos. Gégé, parallèlement à son travail en studio,  réalise des reportages lors de soirées organisées par le milieu colonial. En 1957, Malick lui propose de couvrir les fêtes bamakoises, en lui empruntant un appareil photo ; il devient son assistant. Gégé quitte le Mali en 1958 et laisse son studio, le Photo Service, en gérance à Malick. Ce dernier va continuer de travailler pour le compte de Gégé, mais le soir venu, enfourche sa bicyclette et, appareil photo autour du cou, parcourt les fêtes de Bamako pour lui-même. Les négatifs des clichés qu’il réalise pour Photo Service ne seront jamais récupérés après la fermeture du studio, sans doute détruits.  



Rendez-vous au Studio Malick

 

« Dans les années 1957, j’étais le seul à Bamako » raconte t-il tout en rangeant dans des petites boîtes en carton des milliers de négatifs classés par années.

 

Le minuscule studio étonne par la quantité d’appareils photos et de documents qui encombrent les étagères. Malick s’y retrouve !

 

Il se situe dans le quartier de Bagadadji, ouvert en 1962, au moment même de l’indépendance du pays. « J’ai vite été submergé. Avec la libération des jeunes et la musique, c’était formidable. Cette jeunesse des années 1960 qui connait la liberté apportée par l’indépendance, l’inconscience des enfants, la musique qui permait aux hommes et aux femmes de se rapprocher, les garçons cravatés, les filles habillées de jolies robes inspirées de la mode occidentale… », Malick en rit encore de plaisir. Les photos sont prises sur le vif, au flash, avec son Rolleiflex, fixant la spontanéité et l’euphorie. Avec ses amis qui s’arrêtent fréquemment au studio et s’installent sur une petite chaise dehors à ses côtés, il évoque le bon vieux temps. Celui où des groupes musicaux comme le Las Vegas passaient dans les clubs le soir et salons de thé l’après-midi. Fernand l’ambianceur, celui qui d’un tour de main couchait une fille sur son genoux lors d’un rock endiablé, s’en souvient, « Malick faisait le tour des dancings jusque tard dans la nuit, déambulant dans les rues encombrées, poussiéreuses, riches en couleurs ; à l’époque c’était beau Bamako ! »

 

« Je faisais la tournée, allant du Moscou au Tahiti, en passant par le Tropicana »


« Les gens dansaient alors la charanga, le pachanga, le blues ou le rock » ajoute Nany, ex musicien du Las Vegas, « après on ramenait les filles le matin. Rien n’était provocant dans leurs tenues, elles savaient conserver une certaine pudeur ».

« Ils étaient plus heureux, la situation économique moins tendue, le pays plus stable, poursuit Malick. Je me souviens de ces dimanches à la plage de « La Chaussée » non loin de Bamako, sur les bords du Niger. C’était bondé de monde ! Les gens se baignaient, riaient, passaient de bons moments, commençaient à prendre conscience et leurs visages exprimaient cette joie. C’était une bouffé d’air frais ». Les temps ont changé, La Chaussée est aujourd’hui quasiment désertée. Le travail en studio se poursuivait alors tard dans la nuit et le lendemain, les clichés se retrouvaient collés sur des chemises aux tons pastels, annotées des références de la soirée ou de l’évènement, puis exposées en devanture. Les gens intéressés passaient ensuite pour faire leur choix et commander ces fameuses photos-souvenirs.

 

Mise en scène

 

Au studio, la mise en scène est très personnelle.

 

Malick joue avec les compositions graphiques, les contrastes, la lumière. Il aime la rondeur des courbes féminines qu’il associe aux dessins géométriques des tissus.


On s’arrête volontiers pour prendre la pose, s’afficher avec un nouveau costume, montre, radio, cigarette aux lèvres…, et ainsi prendre place avec élégance dans la nouvelle société malienne. Malick règle les projecteurs, rectifie la cambrure du dos ou le pli du tissu et d’un clic rapide et mesuré, saisit sur la pellicule ces témoignages d’une société en pleine évolution. La réputation du petit studio situé à l’angle 19 de la rue 30 dans ce quartier populaire, grandit pour devenir le plus important de la ville avec celui de son ami Seidou Keita. « Seydou, c’était la grande classe des fonctionnaires, avec des hommes richement habillés qui couvraient leur dame de chaines en or. Moi, c’était la classe moyenne ; on pouvait même poser avec un mouton. Sans doute retient-on mes portraits parce qu’ils respirent la jeunesse, la joie et la gaieté. Dans mon pays, le portrait incarne la tradition photographique. Il retrace aussi notre histoire, notre peuple, à travers des visages, coiffures, vêtements, objets, tresses, chaussures… » (In Malick Sidibé, portraitiste d’Afrique dans Le Monde, mars 2003).


 

La fierté du Mali

 

Malick Sidibé n’est véritablement reconnu en tant qu’artiste qu’à partir de 1994, lorsqu’il présente son travail aux premières Rencontres Africaines de la Photographie de Bamako. C’est le début d’une carrière internationale jalonnée d’expositions importantes et de plusieurs prix dont le Lion d’Or attribué pour l’ensemble de son œuvre à la 52e Biennale de Venise en 2007. Plus récemment, l’ICP Award à New-York et l’année dernière, le prix PhotoEspaña Baume & Mercier à Madrid lui ont été décernés. Malick ne cesse de nous surprendre en s’appliquant à la photographie de mode d’inspiration africaine de Christian Lacroix ou Prada. Il continue de rendre encore plus belles les femmes, avec la même modestie. « J’ai toujours dit, quand en Europe on m’a reconnu comme étant un grand photographe, que je le suis devenu grâce à la jeunesse que j’ai suivi ».

 

J’ai aimé mon métier, je ne l’ai pas fait exprès !


Les habitants de Soloba lui sont reconnaissants : « il a sorti Soloba du trou, que Dieu le récompense ». Et le grand Malick Sidibé de conclure « le succès n’a pas changé mon comportement, il m’a permis de donner, le tombeau n’a pas besoin d’argent. Pour moi, tant que j’ai la vision, je continue à faire de la photo, ça me donne un sens à la vie. Quand j’arrêterai ? Quand je serai mort, peut-être ! ».

Monique Cabré
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