France - Vintage

« C'est décidé, je ne serai pas qu'un "Stone", je serai un "Brian Jones" »

Marie Torres - 12 octobre 2014
Fan de Brian Jones depuis le milieu des années 60, Claude Speisser a, au fil des années, accumulé une somme considérable de documents et d’informations – souvent rares ou inédits - sur le fondateur des Stones. Rencontre avec un passionné… passionnant.

Micmag : Comment est née cette passion pour Brian Jones ?

Claude Speisser : En 1964/1965, j'écoutais ce que tout adolescent de 15 ans écoutait : du « français ». Entre autres Hallyday,  Alamo, Vartan… Un soir mon cousin, qui avait quatre ans de plus que moi, vient à la maison avec sous le bras le premier 33T de Chuck Berry et deux 45T d'Eddie Cochran.  Après les avoir entendus, je me suis demandé comment je pouvais écouter mes 45T ! Mais mon cousin avait également apporté des singles des Rolling Stones et des Beatles. Changement de planète… Carol, Not Fade Away, It's all over now, Twist and Shout et Can't buy me love... s’enchaînent sur mon vieux Teppaz.

Dès la première écoute, le choix s’est fait entre le côté « gentillet » des Beatles, dans la voix et la mélodie carrée, et la voix nasillarde à  l'accent cockney de Jagger et la sonorité déjà propre au groupe. Ajoutez à cela leur tenue vestimentaire… il n'y avait pas photo, je serai un « Stone ». Je me rends donc rapidement chez mon disquaire et achète mon premier disque des Rolling Stones, « Time is on my Side »

« 98% des garçons étaient pro Beatles »

Et là.je reste un moment à regarder ces cinq jeunes londoniens sur la pochette. Quelle dégaine !  L'un d'eux se détache pour moi, il dégage quelque chose, mais je ne sais pas quoi. Peu importe. Il me fascine. Il est blond, en col roulé blanc, avec une coupe encore inconnue pour un homme, avec une frange et surtout ses cheveux sont longs... C'est décidé, je ne serai pas qu'un « Stone », je serai un « Brian Jones ».

Je pense avoir été certainement un des premiers écoliers en France à avoir adopté cette coupe « à la Stone »… ce qui m'a causé bien des soucis à l'école où 98% des garçons étaient pro Beatles, sans compter le harcèlement des profs. Heureusement la classe était mixte !

M. : Au départ, c’est donc son look qui vous a accroché ?
C.S. :
Oui, je pense que c'est uniquement cela qui m'a plu dans un premier temps. Car, à partir de 1968, je n'étais plus trop en phase avec ses tenues vestimentaires délirantes et trop « féminines », mais c'était Brian et à mon stade d'admiration qui avait dépassé le fait d'être un simple fan, je lui passais tout.

Bien sûr, en lisant tout ce qui a été écrit sur lui – presse et ouvrages - j'ai découvert qu’il n'était pas l'ange -  au sens propre du terme - que je m'imaginais à 14 ans… lorsque je n'avais que mon 45T vinyle comme seul témoignage... Beaucoup de passages obscurs et décevants dans son comportement en général. Les drogues et l’absorption énorme d'alcool n'y étaient certainement pas étrangères.

M. : Ces « passages obscurs » et sa disparition prématurée font souvent oublier qu’il était le fondateur des Stones et aussi un grand musicien…
C.S. : C’est vrai. Pour Brian, tout commence en 1962. Il se produit alors avec Alexis Corner - le découvreur du blues de cette époque, en Angleterre  - dans des bars et des clubs de la banlieue de Londres. Passionné de blues, Brian a un faible pour Elmore James et se fait appeler « Elmo Lewis »  - Lewis étant son 2ème prénom.

Dans ce même temps, trois gamins originaires de Dartford se passionnent eux aussi pour le blues, mais se contentent de répéter dans le garage de l'un d'eux, Dick Taylor, co-fondateur par la suite des Pretty Things ; les deux autres se nomment Mick Jagger et Keith Richards  (avec un "s" à Richards qui est sa vraie orthographe,  leur producteur lui fera retiré lorsqu'il deviendra co-compositeur, à leurs débuts). Ils se font appeler « Little Boy Blue and his Blue Boys ».

Ils ont écho d’un club dans Londres où on joue du blues, s'y rendent et sont fascinés par Elmo Lewis, ce guitariste chanteur qui joue « Dust My Blues » d'Elmore James. Le contact est pris au bar. On sympathise.  On envisage de créer un groupe. Brian Jones prend les commandes et décide de l'appeler « Rollin' Stones ». Sans le « g », car c'était le nom d'une chanson du bluesman Muddy Watters que Brian affectionnait  également.

M. : C’était parti…
C.S. : Oui, avec une première mini tournée du 12 au 20 juillet 1962 sous le nom de Rollin’Stones, avec Mick Jagger au chant, Brian Jones et Keith Richards à la guitare, Dick Taylor à la basse et Mick Avory (futur batteur des Kinks).Des changements interviendront avec les remplacements par Bill Wyman et Charlie Watts pour la mouture définitive du groupe qui rajoutera le « g » pour devenir les Rolling Stones

M. : Existent-ils des enregistrements de cette époque ?
C.S. : On sait qu’une petite quinzaine de morceaux ont été enregistrés dans le garage des parents de Dick sur un magnéto de fortune. Les bandes ont été perdues et retrouvées par hasard lors d'un déménagement en 1995. Mises aux enchères, elles ont été achetées au prix de 45.000 euros par un certain... Mick Jagger. Mais il y a eu quelques fuites qui ont donné lieu à quelques rares éditions (que je possède)  d'une partie de ces  chansons.

« Brian était en contact avec Jimi et John Lennon pour des projets communs »

M. : Des compositions de Brian ?
C.S. : Il a énormément composé mais doutant en permanence de lui face au tandem  Jagger/Richard imposé par leur producteur Andrew Loog Oldham (qui n'aimait pas Brian..), ses notes finissaient toujours à la poubelle. Il a composé toutefois, en 1967, la musique du film « A Degree of Murder » (primée à Cannes cette même année), dont on peut trouver (avec difficulté) l'intégralité de la bande du film dont la vedette est Anita Pallenberg. 

M. : Une bande que vous possédez, j’imagine ?
C.S. : Oui, je la possède ! On peut aussi trouver quelques essais d'enregistrements rares mais uniquement instrumentaux avec Jimi Hendrix. Mais il n'y a pas de mélodie, uniquement cinq minutes d'improvisation.  Il faut savoir qu'en juin 1969, un mois avant sa disparition, Brian était en contact avec Jimi et John Lennon pour des projets communs. On n'ose imaginer l'impact d'un tel trio… Sinon, Brian joue du saxo sur le « All you need is Love »  des Beatles. Mais il n'y a hélas aucun enregistrement uniquement de Brian au chant. Il aurait pu en être autrement si, en février 1964, lors de leur tout premier concert sur scène, une personne avait eu la bonne idée d’enregistrer, car c'était Brian Jones qui chantait  « You Better Move On »  d'Arthur Alexander. .Il n'aura chanté cette chanson que durant deux prestations, leur producteur décidant que ce serait Jagger qui la chanterait désormais…

M. : Dans le quotidien comment vivez-vous cette « passion » ?
C.S. :
Je vis  en permanence avec un rappel de mes passions et intérêts pour des personnes qui m'ont marqué, voire fasciné, car elles ont influencé mes goûts et ma façon de vivre en général.  Aussi, chez moi, j’ai des endroits qui leur sont réservés. Avec posters, photos…  Il y a bien sûr Brian, mais également Ayrton Senna et Steve Mac Queen. 

Par ailleurs, je suis membre du Brian Jones fan club.  J'ai ainsi fait le déplacement à Chelthenham, le 3 juillet 1999, pour le trentième anniversaire de sa disparition, ce qui m'a permis de côtoyer quelques-uns de ses proches comme James Phelge, Tom Keylock, un ancien mercenaire au passé douteux et dernier garde du corps de Brian. Pat Andrews, compagne de Brian au début des années 60 (qui lui a donné un fils, Julian) était aussi présente. Je me suis également rendu à Hartfield pour voir « Cotford Farm», où il a été retrouvé dans sa piscine. 

En fait, sans resté figé dans cette époque, j'avoue ne pas pouvoir m'intéresser avec la même passion  à une toute autre époque que ces années 60 en Angleterre, en ce qui concerne la musique et la mode.

« … une mention particulière au livre « Stone Alone » de Bill Wyman »

M. : Avez-vous vu les Stones (avec ou sans Brian) sur scène ?
C.S. : Oui j'ai vu Les Rolling Stones à de nombreuses reprises, mais avec toujours un sentiment de frustration, car sans Brian. En janvier 1966, mon cousin demande à ma mère l'autorisation de m'emmener à l’Olympia pour les voir. Ma mère lui fait confiance. Et c’est l’attente fébrile. Je vais voir les Stones et surtout Brian. Hélas, mon cousin disparait dans un tragique accident de voiture 15 jours avant le concert…

M. : Etes-vous collectionneur ?
C. S. : Comme tout passionné,  mais cela se limite à la recherche d'enregistrements rares des Stones avec Brian, ainsi que d’affiches, posters, cartes postales et livres sur cette période. Et bien sûr, tous DVD ou CD rares. Je ne fais pas dans le fétichisme aveugle et incontrôlé. Je possède environ 120 pièces inédites et rares. 

M. : Quelle est selon vous sa meilleure biographie ?
C.S. : A vrai dire, je n'en ai lu aucune qui se détache particulièrement car, que ce soit les biographies en français ou en anglais, j’ai fini par avoir fait le tour de sa vie et toutes se recoupent car il n’y a pas 50 histoires différentes. Tout au plus quelques détails ponctuels sur certaines périodes, mais pas de révélations.

Je dois posséder plus de 200 livres et archives conséquentes sur Brian et les Stones de 1962 à 1969. Parfois via les publications de  personnes les ayant côtoyés, comme Anna Wohlin ( sa dernière compagne présente lors de la soirée du crime), ou encore James Phelge qui partageait leur premier appartement. Marianne Fathfull également parle beaucoup de Brian.

J’attribuerais une mention particulière au livre « Stone Alone » de Bill Wyman, leur bassiste pendant 30 ans. 

« Je ne crois pas que Brian soit mort accidentellement « en solitaire »

Si je ne peux citer la meilleure bio, je peux en revanche citer celle qui m'a révolté, au titre pourtant accrocheur « Retour à Jajouka sur les traces de Brian Jones », parue en octobre 2012. D'une totale inutilité si l'on veut en apprendre plus sur l'intérêt que Brian portait à la musique orientale et  sur son déplacement au Maroc en 1967... 259 pages d'aucun intérêt où les passages sur Brian sont rares.

M. : Vous avez dit le soir du « crime » ?
C.S.
: Après avoir lu des milliers de pages et d'articles sur la disparition de Brian, je ne crois pas qu’il soit mort accidentellement « en solitaire ». Je ne crois pas non plus à l'hypothèse farfelue de l'implication de Jagger et Richard par peur de l'ombre que Brian aurait pu générer sur les Stones avec le projet de son nouveau groupe avec Lennon et Hendrix. La certitude, c'est qu'il a bien été noyé par une (Frank Thorogood) ou plusieurs personnes (les deux ouvriers de l'entrepreneur).Thorogood était un entrepreneur douteux,  Keith en avait fait l’expérience et l’avait fortement déconseillé à Brian.

On sait aussi que Brian était imprévisible et pouvait avoir des comportements changeants. Mécontent du travail et du prix proposé par Thorogood, Brian avait décidé de le licencier et de ne pas le régler mais, paradoxalement, l'avait invité ce 2 juillet 1969 au soir pour une petite fête à Cotchford Farm. L'alcool et la drogue aidant le ton est monté et un vilain jeu a commencé dans la piscine avec Frank, ses ouvriers et Brian. Jeu de la part de personnes imbibées d’alcool ou acte intentionnel, là restera le mystère que seul Thorogood aurait pu expliquer avec plus de détails avant sa mort en 1994 (il a avoué le crime le jour de sa mort, le 2 juillet 2009 soit juste 40 ans après…).

«… la police, sur laquelle Tom Keylock avait une forte influence, n'a jamais approfondi  l’enquête et  l'autopsie »

Par ailleurs,  le soir du 2 juillet, de nombreuses personnes conviées ont été obligées de repartir, repoussées avec menace par Tom Keylock, le garde du corps de Brian. Il a été prouvé qu’il était présent immédiatement après la mort de Brian et a brûlé toute sa garde-robe .De nombreux objets de valeurs ont disparu, mais la police, sur laquelle Tom Keylock avait une forte influence, n'a jamais approfondi  l’enquête et  l'autopsie, et a conclu, dans la hâte, à une cause accidentelle due à une trop grosse absorbions d'alcool et de drogue.

M. : Comment votre entourage vit-il cette passion ?
C.S. : J'ai connu, en 1966, celle qui allait devenir mon épouse. Nous étions à l'époque deux ados parmi tous nos copains et copines de même âge et lors d'une discussion nous avons constaté que nous avions la même passion sans limite pour… les Rolling Stones. Nos chemins se sont séparés fin 1967 pour se retrouver en 1972… mariage en 1973. De ce fait, aucune discorde sur le plan musical !

Nous avons eu deux fils…et nous avons hésité à leur naissance à prénommer l'un d'eux Brian, pour finalement ne pas y donner suite. En revanche, dès qu'ils ont été en âge d'avoir les cheveux longs, ils n’ont pas échappé à la coupe  « à la Brian ». ! Aujourd’hui, âgés de 36 et 40 ans, ils partagent notre passion pour la musique  et, s'ils s’intéressent à d’autres courants musicaux, comme nous, ils écoutent régulièrement de vieux vinyles, aux sillons « craquants », de la période « Brian 's Stones »…

Marie Torres
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