08-11-2011 14:04:55

Faut-il rendre des oeuvres de musées ?

Retour sur le très polémique ouvrage d’Emmanuel Pierrat "Faut-il rendre les œuvres d’art ?". Une nouvelle génération de collectionneurs "compassionnels" élève la voix afin d’introduire de l’éthique-business. Thierry Ehrmann, Président de Artprice entre dans la danse.
Par Iris Sergent (Paris)

Dans son récent ouvrage, paru aux éditions CNRS, Emmanuel Pierrat, avocat et collectionneur d’art premier (cf. http://www.micmag.net/fr/reportages/105-lavocat-des-temps-nouveaux), met en pièce des arguments et un système juridique inefficient aux relents néocolonialistes. Nous avons cherché à en savoir plus. Si les conservateurs de musée, tenus par leur devoir de réserve, ne semblent pas pressés à nous répondre, Thierry Ehrmann, Président de Artprice (leader mondial de l’information sur le marché de l’art) et collectionneur d’Art Moderne et Haute Epoque, appelle de ses vœux, à un peu plus d’éthique dans ce marché très lucratif. En effet, si le commerce mondial et illicite de biens culturels s’élève à plus de 7 milliards d’euros par an, il constitue également une spoliation de l’identité culturelle de nombreux peuples qui se trouvent aussi bien au Nord qu’au Sud.

L’argument qui consiste à dire que les pays africains ne sont pas aptes à conserver leur patrimoine culturel est "une foutaise de la Françafrique".

Pour Emmanuel Pierrat "Les conservateurs de musée, en Afrique ou ailleurs, se sont largement formés, équipés… ce sont des manques de budget, c’est vrai, mais nous aussi, nous manquons de budget pour la culture. Quand on voit le pillage du Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, qui s’est fait voler 5 tableaux de maîtres parce que le système d’alarme n’est pas réparé… on n’a pas de leçons à donner au musée de Bamako qui est sublime". Et c’est "sans compter le nombre croissant de fondations privées qui se créaient et qui sont ouvertes au public (Dakar, Le Cap Lomé…), c'est-à-dire que là-même où la puissance publique n’est pas en état, il y a des collectionneurs privés qui se réapproprient leur propre histoire. L’argument qui consiste à dire que les musées du Sud ne sont pas aptes à accueillir est à récuser, c’est un argument néocolonialiste qui était valable il y a trente ans". Le président d’Artprice partage cette opinion. Pour lui, le fait de dire que certains pays ne sont pas aptes à la conservation "est une foutaise de la Françafrique dont nous sommes les spécialistes. C’est un argument des réseaux Foccart qui est archi faux". De plus, il prend l’exemple extrême de la Somalie où la puissance étatique est défaillante et "où vous trouverez toujours un groupe (caste, tribu, anciens) qui a notion de gestion du patrimoine historique".

Pour T. Ehrmann, il faudrait appliquer à chaque restitution la convention Unidroit. Ainsi le pays qui accepte la restitution doit être soumis à trois obligations : "il doit déterminer le pourquoi de la restitution (…), c’est-à-dire qu’il doit s’agir d’un élément culturel fondamental de son pays ; il doit déterminer sur quoi s’appuie la restitution : dans quelle mesure il s’engage à être le détenteur de la restitution ; il doit prouver qu’il peut en assurer la garde".

Le discours ambivalent de l’Etat français : un système juridique défaillant et des pistes à explorer

Selon E. Pierrat "la France est à l’initiative de textes internationaux contre le commerce illégal d’œuvres d’art qu’elle refuse ensuite de ratifier... Parce qu’il y a un lobbying du Syndicat National des Antiquaires (SNA). Il a fait une campagne absolument ahurissante auprès des parlementaires contre la convention qui vise à restituer toutes les œuvres qui ont été volées depuis 1995. Le SNA a réussi à faire capoter l’adoption de ce texte par le Parlement que la France avait initié. Ça veut dire que le SNA cautionne aujourd’hui les gens qui font du trafic d’œuvres volées depuis 1995. Il n’y a aucune éthique ni morale ni juridique". S’agissant des conservateurs, E. Pierrat confie que "la nouvelle génération est beaucoup moins figée dans l’idée d’un Domaine Public intangible. Le principe de l’inaliénabilité, qui interdit notamment de vendre tout ce qui appartient à l’Etat, était partie d’une idée formidable au 19ème siècle mais est aujourd’hui obsolète. Quand on a 50 exemplaires de la même œuvre et qu’on n'en montre que 15, cela n’a aucun sens : d’un côté, on cherche de l’argent pour rénover les musées, acheter de nouvelles pièces, compléter nos collections, et de l’autre côté, on a l’interdiction de vendre ce qu’on a en plusieurs exemplaires". Toutefois, "il existe un modèle d’échange. Mais nous, on est très sclérosé. Si vous interrogez Stéphane Martin du quai Branly, il a une position très ouverte. Il y a au quai Branly 3 000 tambours qu’on entasse dans un coin. On en exposerait une centaine qu’on aurait tout le panel de ce qui peut se faire en Afrique. On a des œuvres authentiques à n’en plus finir alors que dans certains musées africains importants, il n’y pas un seul exemplaire de bonne qualité ou représentatif de leurs cultures. Si pour l’instant on ne peut pas rendre, on n’a qu’à prêter pendant cent ans et faire un échange. Au musée de Bamako il y a un tas de trucs qu’on aimerait exposer. C’est du donnant-donnant mais c’est de l’intelligence de conservateurs".

Pour T. Ehrmann, "le vrai problème de la convention Unidroit est que la France a eu cette lâcheté de ne pas la signer : je ne vois pas pourquoi la France est capable de bloquer ses trésors nationaux et de l’autre côté, ne pas signer la convention (…). Il ne faut pas oublier que tous les grands théoriciens et toutes les grandes écoles académiques de guerre considèrent que la guerre n’est purgée, n’est gagnée que lorsque l’on a pris l’art du peuple vaincu, car c’est aussi l’âme du peuple (et les femmes). On a cette problématique qui existe et qui montre bien que l’on va déculturé le pays que l’on va envahir". Néanmoins, "il y a quand même une sorte de prise de conscience qui devient de notoriété publique, tant chez les collectionneurs que chez les commissaires priseurs qui, au départ, étaient quand même très hypocrites". Ensuite, Ehrmann mentionne les lacunes du droit international privé qui permettent de faire perdurer le commerce illicite d’œuvre d’art, puisque le Luxembourg, la Belgique et les Pays-Bas "ne condamnent pas le recel. Ensuite, on peut passer par des holdings, puis on titrialise l’œuvre, c’est-à-dire qu’on démembre la propriété en une multitude de valeurs fiduciaires. Par exemple, j’apporte une œuvre à une société holding qui est au Luxembourg et cette société possède mille parts. La somme de toutes ces parts vous permet de contrôler la personne morale qui elle-même détient l’œuvre en bien propre. Cela permet à quelqu’un d’évacuer avec beaucoup de mauvaise fois le risque juridique". Et puis il existe ceux que le fondateur d’Artprice qualifie de cas pathologiques : "il existe des commandes de vol de collectionneurs qui gardent les œuvres pour eux. On n’est pas dans la légende, c’est une réalité. Le collectionneur qui est à l’autre bout du monde, mandate très chèrement des équipes pour voler une certaine pièce. Pour résumer, à terme, le législateur devrait pénaliser le commanditaire du vol".

Plaidoyer pour une restitution au cas par cas

E. P n’est "pas pour toutes les restitutions, ni pour le conservatisme actuel qui consiste à dire : on ne rend rien sans réfléchir. C’est une position qui n’est plus tenable aujourd’hui. D’abord parce que les dons spontanés envers la puissance coloniale française ne sont pas moralement acceptables à l’aune de 2011. Ensuite, serait absurde la restitution complète. Il y a deux choses à faire. La première, c’est trier nos réserves. Ainsi au Louvre, on ne peut exposer que 10% des œuvres dont le musée est propriétaire. On n’expose pas pour la simple et bonne raison que l’on n’a pas la place. Il y a des musées qui seraient absolument ravis d’avoir des œuvres que nous, nous considérons comme de moindre importance mais qui sont importantes pour d’autres cultures. La polémique sur la restitution des manuscrits coréens à la Corée du Sud est un bon exemple. Ces manuscrits avaient été volés lors d’un pillage par l’armée française au 19ème siècle. Ce sont des rouleaux extrêmement précieux pour la Corée et qui passionnent la Corée. Les manuscrits étaient conservés dans un endroit où ils n’avaient été consultés depuis des décennies".

On est dans un système dans le lequel il y a deux choses à faire. La première, c’est de faire sauter les verrous juridiques qui empêchent la restitution. Aujourd’hui, il y en a plein. En pratique, pour les têtes maoris, on a dû faire une loi spéciale pour les sortir du Domaine Public français. Ensuite, le deuxième point, c’est qu’une fois qu’on a voté un instrument qui permet la restitution, il faudrait créer la commission de la restitution, comme celle qui permet de classer les œuvres, qui permettrait de rendre des œuvres à tel ou tel Etat. Ainsi, on pourrait rendre des sphinx à la Turquie puisqu’on en a dix et que seul deux peuvent être exposés…. Il ne s’agit pas de rendre tout mais de trouver un système intelligent qui dépasserait le clivage entre les notions d’identité nationale et de patrimoine universel. Elles sont subjectives et doivent être appréciées par une commission collégiale et non pas par une seule personne.

Pour en savoir plus : Faut-il rendre les œuvres d’art ? d’Emmanuel Pierrat, Edition CNRS, 5 euros.






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