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"Les Héros du peuple sont immortels" : le récit graphique d’un punk en cavale !

Jean-Christophe Mary - 23 juin 2025
Avec "Les Héros du peuple sont immortels", Stéphane Oiry signe une libre adaptation graphique de l’autobiographie "Trente ans de cavale" de Gilles Bertin, figure écorchée du punk français des années 80. Un récit de rédemption qui éclaire les zones d’ombre d’un homme et d’une génération.

Il faut d’abord rappeler les faits. Gilles Bertin, né en 1961 à Paris, est chanteur et bassiste du groupe punk bordelais Camera Silens. En 1988, il participe à un casse de près de 12 millions de francs dans une agence de la Brink’s à Toulouse, avant de disparaître pendant près de trente ans, entre l'Espagne et le Portugal. Devenu disquaire à Lisbonne, Bertin finit par se rendre à la justice française en 2016. Trente ans de cavale, de planques, de fausses identités et de survie. Ce destin fracassé Gilles Bertin l'a raconté lui-même dans une autobiographie saisissante, " Trente ans de cavale Ma vie de punk ", parue en 2019, quelques mois avant sa mort.

Stéphane Oiry, dessinateur virtuose (déjà remarqué pour " Les Rues de Lyon ou Maggy Garrisson), s’en empare aujourd’hui dans "Les Héros du peuple sont immortels ", un roman graphique publié chez Dargaud. Ce n’est pas une simple transposition en images. C’est une lecture, une réécriture en formé d'hommage mais aussi un dialogue posthume entre l’auteur et son sujet.

Gilles Bertin y apparaît comme
un anti-héros par excellence

Là où Gilles Bertin livre lui un témoignage direct, sans filtre, riche en détails qui justifie aussi parfois, Stéphane Oiry se concentre sur l’ambiance, l’émotion, le tempo intérieur comme pour abolir la distance entre le lecteur et l’homme en fuite. Cette adresse directe donne à l’album une tonalité introspective, quasi fantomatique : Gilles Bertin est à la fois sujet, spectre et conscience.

Ce roman graphique dépeint le Bordeaux des années 1980, une jeunesse en rupture, entre squats, galères, colère politique et concerts incandescents. Comme Bérurier Noir ou La Souris Déglinguée, Camera Silens groupe underground au nom emprunté aux cellules d’isolement de la R.A.F. incarne cette scène alternative qui scande le refus de l’ordre établi. Avec sa petite gueule d'ange blond, Gilles Bertin en est l'une des figures centrales. Puis vient la rupture : toxicomanie, SIDA, marginalisation. Gilles Bertin devient père et, sans transition, braqueur. S’ensuivent trente années de clandestinité entre Lisbonne, Barcelone et la solitude. À la fin, il revient, se rend, et ne prendra que cinq ans avec sursis. La justice n’a pas su quoi faire de lui. Peut-être parce qu’il était déjà ailleurs.

À ce punk qui déraille, Stéphane Oiry ne cherche ni excuses ni condamnations : il dessine un portrait nu, brut, sans emphase.C’est là l’une des forces de "Les Héros du peuple sont immortels" : refuser toute glorification, sans renoncer à la puissance romanesque d’un destin hors-norme. Gilles Bertin y apparaît comme un anti-héros par excellence : pas de morale, pas de victoire, pas de posture. Ni traître ni martyr, il est un homme broyé par ses choix, qui tente de se reconstruire dans l’ombre. En cela, il incarne une certaine figure punk : celle d’un refus viscéral des normes, qui ne trouve ni salut politique, ni consolation mystique, mais seulement la nécessité d’avancer. Le trait clair, anguleux de Stéphane Oiry évoque les codes visuels des BD alternatives des années 1980, à mi-chemin entre Métal Hurlant, Tardi et Veyron.

C’est aussi le portrait d’un monde disparu

Le traitement des couleurs, volontairement désaturé, évoque des photos fanées, des souvenirs qui résistent à l’oubli. La palette chromatique est volontairement restreinte, mêlant teintes froides et aplats sourds, comme pour signifier l’austérité des lieux (squats, commissariats, rues dépeuplées) et la grisaille psychologique du protagoniste qui n’a jamais connu de stabilité. Le dessin devient ici un outil de mémoire qui redonne corps à une époque disparue, celle des squats d’un Bordeaux punk, du SIDA où l’utopie côtoyait la destruction.

En transposant " Trente ans de cavale " en roman dessiné, Stéphane Oiry donne à la trajectoire unique de Gilles Bertin une seconde vie, graphique et rugueuse. Il lui offre une chair nouvelle, visuelle et profondément mélancolique. Le dessinateur a réussi le pari délicat de faire de l’histoire de Gilles Bertin une fresque générationnelle et de son errance une leçon d’humanité. C’est aussi le portrait d’un monde disparu, celui où l’on croyait encore qu’un groupe punk aller pouvoir changer le monde ou du moins l’ébranler.

Jean-Christophe Mary pour www.micmag.net
Les héros du peuple sont immortels
Stéphane Oiry (Illustration)
Editions Dargaud, Mai 2025
21,50 euros

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