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"En Haïti, la poésie est un genre vivant"

Marie Torres - 12 décembre 2017
Docteur de l’université de La Sorbonne, Yves Chemla a enseigné à Port-au-Prince entre 1982 et 1984 et publie régulièrement des articles consacrés aux écrivains haïtiens. Micmag.net lui a donc demandé de nous présenter cette littérature riche et vivante

Micmag.net : Quelle est la place de la littérature en Haïti ?

Yves Chemla : Grande ! En Haïti, la lecture est vivante. On lit beaucoup. Quand des écrivains français sont accueillis à Port-au-Prince, pour une manifestion littéraire, ils sont assez surpris de voir qu'il existe une vraie culture de la lecture. Et même un vraie culture de la culture.

M. : Comment la qualifiriez-vous ?

Y.C. : Riche, vivante, active et très répandue pour une population qui n'est pas importante et qui a des difficultés d'accès à l'alphabétisation. Et, d'ailleurs, pour les personnes qui ont des difficultés de lecture, de nombreux textes sont diffusés sur les radios. A son époque, le grand écrivain Frankétienne a été connu grâce à la circulationde cassettes audios.

On peut dire que des textes très intéressants ont été écrits et ce dès l'indépendance. Des textes contre les politiques coloniales et impérialistes. Une chercheuse de Louis-Joseph Janvier a été le premier roman anti impérialiste édité. C'était en 1889.

M. : Quelles sont les différentes Ecoles ?

Y.C. : On ne peut pas parler d'Ecoles mais de genres et à l'intérieur de ces différents types d'écriture on trouve beaucoup de poésie. En Haïti, la poésie est un genre vivant. Cela peut faire sourire et paraître désuet, mais pour "séduire" on déclame des poèmes et des poèmes d'auteurs contemporains car on les connait.

M. : Pas désuet, plutôt romantique ! Et en dehors de la poésie ?

Y.C. : Des nouvelles. Ce genre, court , facile à publier et pas cher, circule bien. Du théâtre et, bien sûr, des romans. Roman de moeurs, de l'intime, fantastique, historique et policier ; un genre policier qui se croise souvent avec le fantastique en revisitant les mythes de la société haïtienne.

M. : Quelle est la relation entre mémoire et littérature ?

Y.C. : Elle se distingue par deux aspects : la carence et la saturation. Un phénomène de carences car la population haïtienne est majoritairement composée de personnes nées après 1986, c'est-à-dire après la chute de la Maison Duvoilier et qui n'ont donc pas vécu la dictature. Et, en même temps, il y a une saturation de la mémoire sur la guerre d'indépendance. Mais, depuis quelques temps, on assiste au développement du roman historique qui travaille sur les zones un peu oubliées.

M. : Quelles sont les grandes figures de cette littérature ?

Y.C. : Je voudrais d'abord préciser, car c'est important, que durant la période Duvallier, il y a eu peu de textes publiés. Beaucoup d'écrivains étaient en exil au Canada, aux Etats-Unis, en Belgique ou en France. C'est à partir des années 80, que la plupart des auteurs d'aujourd'hui ont commencé à publier. En 1985, Dany Laferrière, qui est à Montréal, connaît le succès avec son premier roman, Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer. Depuis, il a publié de nombreux textes. Son dernier ouvrage, Mythologies américaines, raconte comment il a été obligé de quitter, très discrètement, Haïti car il était "le prochain sur la liste"... Michel Soukar est un écrivain spécialisé dans les livres historiques. Il s'est intéressé à la question des grands massacres des années 1910/1915, La dernière nuit de Cincinnatus Leconte, revient sur l’explosion du Palais et la mystérieuse disparition du président Cincinnatus Leconte et sa garde. Kitty Mars qui, dans son roman Les saisons sauvages, se penche sur les années 60 durant lesquelles Duvallier et ses "tontons macoutes" - membres de la miliceparamilitaire - éliminaient les opposants au pouvoir.

Autre écrivain avec une production belle et régulière, Lionel Troyau. Il aborde le domaine de l'intime comme celui de la collectivité. Je citerais aussi Gary Victor qui amalgame les genres - politique, historique, mythologique, fantastique - pour rendre compte de la construction de l'imaginaire haïtien comme dans La piste des sortilèges.

M. : Marie-Célie Agnant ?

Y.C. : Marie-Cécile Agnant s'intéresse à l'énonciation de la mémoire, la façon dont on raconte et comment on prend en charge l'imaginaire. Qu'est-ce-qui fait sens et qu'est-ce qui ne fait pas sens ? Qu'est-ce qui est répété et qui sert d'écran ? Qu'est-ce-qui est laissé de côté ? Elle aborde les thèmes de l'exclusion, la solitude, le racisme, l'exil, la condition de la femme, le rapport au passé et à la mémoire. Dans Un alligator nommé Rosa, elle revient sur la période Duvalier et évoque comment on a essayé de faire disparaître les gens comme s'ils n'avaient jamais existé. Un des personnages résume bien l'époque « L’enfance sous Duvalier, c’est la peur et le désespoir du silence. »...

M. : Peut-on parler de caractéristiques propres à cette littérature ?

Y.C. : On peut souligner qu'aucun des écrivains haïtiens n'a jamais de posture de voyeur. On ne trouve plus de "mépris social" comme cela a pu être le cas il y a bien longtemps. Le personnage du miséreux n'est pas simplement un personnage qui est mis en spectacle. L'écriture haïtienne n'est pas simplement descriptive, elle ne met pas seulement le monde en spectacle, elle vise à toucher cette humanité qui remet en cause les conditions par lesquelles la modernité s'est mise en place et comment ce qui se passe d'un côté du monde a des effet terribles de l'autre côté...

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Marie Torres pour www.micmag.net
Littérature haïtienne: 1980-2015
Yves Chemla
C3 Editions, 2016

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