Andrés Navarro (Valencia, 1973) mène une double vie. Le jour, il est architecte, la nuit, il met les habits du poète. C’est peut-être pour cela qu’il a autant de mal à se lever tôt... Il a publié deux livres de poèmes, La fiebre / La fièvre (Pre-Textos, 2005, Prix de Poésie Emilio Prados) et Un huésped panorámico/un hôte panoramique (DVD, 2010, Prix de Poésie Ville de Burgos). Boursier de littérature dans la célèbre Résidence d’Étudiants de Madrid (là où se rencontrèrent Buñel, Dali et Lorca) entre 2006 et 2008. il vit actuellement, à Valence où il est aussi critique littéraire auprès de plusieurs revues telles que Poesía Digital, Paraíso, La estafeta del viento y Nayagua. Nous avons bavardé de son double jeu artistique et d’autres choses encore...
Micmag : Poète et architecte: trouves-tu une quelconque relation entre ces deux activités ?
Andrès Navarro : Ce qui est sûr, c’est que je ne la cherche pas. Pour construire un poème, il faut seulement du temps et du papier, alors qu’un bâtiment... Une fois, j’ai pensé réaliser un livre de projets architecturaux impossibles. Même si Étienne-Louis Boullée l’a déjà fait au XVIIIe siècle, ou bien Frank Lloyd Wright ou Borges...
Imaginer la vie de la personne qui habitera à l’intérieur de ce qui n’est encore qu’ un dessin suppose un exercice d’empathie qui oblige à donner le meilleur de soi. Mais l’architecture implique une responsabilité ajoutée: nous l’infligeons à des personnes qui ne vont pas l’utiliser. Elle est en vue, elle est paysage. L’architecte rivalise de beauté avec la nature et bien sûr, elle a tout pour perdre. Il y a trop d’architecture néfaste qui obtient des licences et parviens à construire, il n’y a qu’à jeter un oeil sur nos villes. Un architecte devrait être un hybride entre un sociologue et un esthète. Et souvent, il est l’un ou l’autre ou aucun des deux. Par chance, je peux écrire une bêtise sans trop de risques sauf, peut-être, pour ma propre réputation d’auteur.
M : La poésie de Un huésped Panorámico / Un hôte Panoramique, ton dernier livre, peut s'avérer difficile à lire, voire même avoir une certaine apreté. As-tu le souci de toucher le lecteur ?
Robert Pringet, par l’intermédiaire de Monsieur Songe, disait: si tu n’expliques pas assez, on te comprend mal, si tu expliques trop, on ne te comprend pas. Le juste milieu, c’est d’expliquer suffisamment pour qu’on te le reproche.
J’écris pour être lu, mais ce n’est pas une chose à laquelle je pense trop quand je suis face à un poème. En tant que lecteur, je préfère ce que je ne comprends pas totalement. D’ailleurs, comprendre n’est-ce pas soumettre un texte à notre raisonnement et nos limitations? La poésie demande au lecteur une intellectualité qui n’est pas rationnelle mais poétique. D’une autre manière: un poème peut être un paysage mais aussi une fenêtre...
M : Quand tu écris, outre ton engagement artistique, es-tu poussé par un certain type d’engagement idéologique ?
Sincèrement, je ne vois pas de différence entre l’un et l’autre. La dénonciation dans l’art est habituellement plus avantageuse pour l’artiste que pour l’njustice dénoncée. L’engagement du poète est, surtout, par rapport à la langue. Approfondir le langage est le meilleur vaccin contre la logorrhée des politiciens, les appâts de la publicité, le mirage consommateur, les fanatismes religieux ou le remplacement de l’identité individuelle par des abstractions collectives des nationalismes. Je crois ne pas pécher d’optimisme si je dis que la poésie, de façon indirecte, nous enseigne à soupçonner.
M : Comment vois-tu le panorama actuel de la poésie en Espagne? Quels auteurs t’intéressent ?
Je crois que nous vivons un moment étrange mais assez riche en nuances. Il y a plus de possibilités pour que des poètes singuliers trouvent une place dans les librairies traditionnelles, et bien sûr, dans des sites spécialisés d’internet. C’est le minimum que l’on peut demander à un poète, qu’il soit singulier, non?
Parmi les auteurs consacrés, il y en a beaucoup qui m’intéressent, j’ai appris à lire avec eux. Parmi ceux qui ont moins de quarante ans, pour poser une limite, je suis avec attention ce que publient Mariano Peyrou, Julieta Valero, Elena Medel, Rafael Espejo, Mercedes Cebrián, Carlos Pardo, Abraham Grajera, Antonio Lucas ou Fruela Fernández, bien qu’il y en ait beaucoup d’autres.
Poème : Le présent
Dans le frigo il y a toujours du thé froid
avec des feuilles de lexique en désuétude. Le bel automne
est arrivé, très bientôt la neige couvrira
les glissières de sécurité, en décembre nous louerons des boîtes aux lettres,
nous rangerons tous les cadeaux.
C’est bon de vous voir partir...
Une fillette bâille et puis une autre. Je donne
à chacune une histoire qui coincide avec son aspect.
À midi je sors demander du romarin aux gitanes,
je secoue des nappes, j’allume les cheminées
pendant que les organisateurs
se demandent
s’ils peuvent se permettre de danser autant.
Qu’un nerf sympathique me fasse un signe
quand je devrai rire, que quelqu’un prenne pour moi
les décisions qui affecte l’odorat.
Je vous demande une minute de honte.
Le thème est libre.
A.N.
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